Comptes rendus

Progrès dans la maîtrise du rhumatisme psoriasique : regard sur les manifestations articulaires et extra-articulaires
Hypertrophie bénigne de la prostate : comment identifier les patients à risque élevé de progression

Polyarthrite rhumatoïde : prise en charge des cas à évolution rapide

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

7e Congrès européen annuel de rhumatologie (EULAR)

Amsterdam, Pays-Bas / 21-24 juin 2006

De plus en plus, les experts s’entendent pour affirmer que la rémission dans la polyarthrite rhumatoïde (PR) doit inclure à la fois le soulagement des symptômes et la prévention d’une atteinte structurelle. L’atteinte de ces deux objectifs représente un défi de taille chez les patients dont la maladie évolue rapidement. Certes, les AINS et/ou les antirhumatismaux à action lente qui modifient le cours de la maladie (DMARD, pour disease-modifying antirheumatic drugs) semblent appropriés pour le traitement de la PR légère ou d’évolution lente, mais les rhumatologues qui participaient à une enquête estiment qu’une stratégie thérapeutique distincte s’impose chez les patients souffrant d’une PR à évolution rapide. De nombreux cliniciens réservent à ce groupe de patients un traitement qui cible le facteur de nécrose tumorale alpha (TNFa), cytokine pro-inflammatoire qui alimente une cascade d’événements favorisant la destruction articulaire. Cela dit, des différences substantielles distinguent les divers agents de cette classe.

«Dans le passé, nous attendions que l’état du patient se soit détérioré avant de modifier son traitement. La tendance actuelle veut qu’il soit important de reconnaître l’inflammation évolutive sans tarder et de prescrire un traitement efficace pour prévenir la destruction articulaire. Si les articulations sont déjà atteintes structurellement au moment où l’on prescrit les agents les plus efficaces pour maîtriser l’inflammation, nous avons raté la possibilité de protéger le patient contre cette incapacité», affirme le Dr Ian B. McInnes, Centre for Rheumatic Diseases, University of Glasgow, Royaume-Uni.

À l’heure actuelle, les stratégies diffèrent, si l’on en juge par l’enquête réalisée dans six pays dont le Dr McInnes a présenté les résultats. Lorsqu’on leur a demandé quelle mesure subséquente ils prendraient chez un patient qui recevrait un traitement par le méthotrexate depuis au moins un an et dont la maladie afficherait une progression importante, les rhumatologues d’Espagne, d’Italie et du Royaume-Uni ont répondu qu’ils étaient susceptibles de changer de DMARD. Au Canada et en Allemagne, les médecins étaient plus susceptibles de modifier la dose de méthotrexate. C’est en France et en Italie que les rhumatologues étaient les plus susceptibles d’amorcer un traitement par un inhibiteur du TNFa. Les résultats de cette enquête – qui s’est terminée en mai 2006 et qui incluait 458 rhumatologues – ont révélé que 97 % des répondants considèrent les cas de progression rapide comme un sous-groupe particulier de la population de patients polyarthritiques, explique le Dr McInnes. La majorité des répondants (88 %) ont signalé qu’ils traitaient ces patients différemment de leurs autres patients souffrant de PR.

La progression de la PR est imprévisible. Chez certaines personnes, la maladie demeure symptomatique pendant des années sans que l’on observe d’atteinte structurelle importante au niveau des articulations; chez d’autres, la PR évolue rapidement d’emblée ou se caractérise par des épisodes intermittents d’inflammation articulaire intense suivis de périodes de quiescence relative. Avec le temps, la majorité des patients atteints de PR présentent une destruction articulaire importante à la suite d’épisodes de progression rapide ou soutenue de la maladie, quoique les estimations publiées varient entre 60 et 90 %. Si le traitement était jadis jugé approprié lorsqu’il procurait un soulagement acceptable des symptômes, le risque élevé de destruction articulaire cumulative a changé la donne, et les objectifs du traitement incluent maintenant une protection contre les symptômes et l’atteinte structurelle au niveau des articulations.

«La difficulté de l’ajustement du traitement – notamment la mise en route d’un traitement par un inhibiteur du TNFa pour maîtriser une PR qui évolue rapidement – est de définir ce sous-groupe. Selon l’enquête, plusieurs méthodes sont employées dans divers centres pour identifier les patients dont la PR évolue rapidement. Si certains utilisent des marqueurs cliniques comme la protéine C-réactive (CRP) et la vitesse de sédimentation érythrocytaire (ESR), d’autres se limitent à dénombrer les articulations sensibles au toucher ou œdémateuses ou à évaluer les clichés radiologiques à la recherche de signes de progression. L’enquête a révélé que moins du tiers des rhumatologues ont recours systématiquement à l’imagerie par résonance magnétique (IRM) pour identifier ces patients, quoique, là encore, il y avait une variabilité considérable d’un pays à l’autre.

«Dans la PR, le contexte est l’inflammation. L’inflammation articulaire entraîne une progression de la maladie visible sur les clichés d’imagerie, et le degré d’atteinte radiographique est directement corrélé avec le niveau d’incapacité physique. De plus, un œdème articulaire persistant pendant le traitement est associé à une progression radiographique plus marquée de l’atteinte articulaire, ce qui démontre la nécessité de maîtriser l’inflammation», explique le Dr McInnes.

Nouvelles données sur le traitement d’association

Bien que les inhibiteurs du TNFa soient reconnus comme étant parmi les agents les plus efficaces pour maîtriser l’inflammation et qu’ils soient largement utilisés chez les patients souffrant de PR avancée, le moment optimal pour amorcer le traitement afin de réduire le risque d’incapacité à long terme continue de susciter la controverse. Comme le souligne le Dr Paul Emery, directeur clinique de rhumatologie, Leeds Teaching Hospitals Trust, professeur titulaire de rhumatologie et chef, unité d’enseignement sur les maladies de l’appareil locomoteur, Leeds University, Royaume-Uni, ces agents sont offerts assez tôt aux États-Unis aux patients qui présentent une inflammation importante malgré un traitement par des DMARD séquentiels ou en association. Des travaux récents réalisés à son propre centre plaident en faveur d’un traitement précoce. Un essai à double insu dont les résultats ont été publiés l’année dernière (Quinn et al. Arthritis Rheum 2005;52[1]:27-35) a généré des données objectives témoignant d’une protection contre la destruction articulaire au terme d’une période de 12 mois. «Chez les sujets de cette étude qui étaient atteints d’une PR précoce de mauvais pronostic et qui, après randomisation, avaient reçu l’infliximab en association avec le méthotrexate, les chercheurs ont observé une progression radiographique moins marquée que chez les patients qui avaient reçu le méthotrexate seul; et à cette observation radiographique correspondaient divers signes de suppression de l’inflammation, y compris une normalisation de la CRP», note le Dr Emery. Il a par ailleurs cité des données préalables montrant qu’un taux élevé de CRP et une ESR élevée étaient associés à une progression radiographique plus marquée chez les patients qui recevaient un traitement actif comme le méthotrexate, et a insisté sur le fait que les résultats sont compatibles avec la conclusion selon laquelle on pourrait envisager d’emblée l’association infliximab/méthotrexate chez les patients dont la PR évolue rapidement.

Au moment où ils ont été admis à l’étude, les 20 sujets avaient des symptômes depuis moins de 12 mois. Après randomisation, ils ont reçu l’association méthotrexate/infliximab ou le méthotrexate seul. À 54 semaines, 80 % des patients qui recevaient le traitement d’association vs 40 % de ceux qui recevaient le méthotrexate et un placebo avaient atteint le critère ACR50, qui correspond à une amélioration de 50 % des symptômes selon les critères de l’American College of Rheumatology (Figure 1). Le critère ACR70 a été atteint chez 70 % et 30 % des patients, respectivement (p<0,05 pour toutes les comparaisons). Fait encore plus important sur le plan des résultats à long terme, le score à l’IRM était significativement meilleur, et les clichés n’ont mis en évidence aucune nouvelle érosion dans le groupe de traitement d’association par rapport au groupe méthotrexate seul. Chez les patients qui recevaient le traitement d’association, le taux de CRP s’est normalisé dans les deux semaines suivant le début du traitement.

Figure 1. Réponse à 54 semaines selon les critères ACR


Le TNFa est une cible appropriée de la cascade inflammatoire, parce qu’il semble jouer un rôle central dans la régulation à la hausse des autres médiateurs de l’inflammation. La mise en branle de la cascade déclenche la libération de molécules d’adhésion qui transportent les cellules inflammatoires jusqu’à l’articulation et entraînent la libération de métalloprotéinases matricielles, comme la collagénase et la gélatinase, intervenant dans la digestion enzymatique du cartilage. Les données montrant que l’inhibition du TNFa contribue étroitement à l’effet anti-inflammatoire et à la protection contre l’atteinte tissulaire proviennent d’une étude satellite qui portait sur les non-répondeurs (Smolen et al. Arthritis Rheum 2005; 52[4]:1020-30). Lors de cette sous-étude sur les patients qui n’avaient pas atteint le critère ACR20 après 54 semaines, l’inhibition de l’atteinte structurelle était tout de même statistiquement significative dans le groupe de traitement d’association par rapport au groupe méthotrexate plus placebo (p<0,05 à p<0,001).

«Le TNFa est de toute évidence l’une des principales cytokines pro-inflammatoires responsables de l’inflammation et de la destruction articulaire dans la PR. Lors des études cliniques sur les inhibiteurs du TNFa, nous avons observé une corrélation entre la diminution de l’inflammation articulaire et la diminution de la progression radiographique de l’atteinte articulaire, d’où une amélioration de la capacité physique. Le traitement anti-TNFa pourrait donc nous donner l’occasion de modifier le cours de la PR, indique le Dr Emery. Je crois que nous devrions nous demander si nous ne devrions pas utiliser ces médicaments pour assurer le mieux-être des patients plutôt que de les réserver pour les stades avancés.»

Protection contre la progression radiographique

Les trois inhibiteurs du TNFa homologués au Canada pour le traitement de la PR sont l’infliximab, l’étanercept et l’adalimumab. Chacun a été associé à une protection contre la progression radiographique lors d’essais comparatifs. En fait, la phase de prolongation de l’essai TEMPO (Trial of Etanercept and Methotrexate with Radiographic Patient Outcomes) a ajouté aux données montrant que les probabilités d’amélioration des résultats sont plus élevées si un inhibiteur du TNFa est utilisé tôt que si son utilisation est retardée. Lors de l’étude initiale, 628 patients ont reçu aléatoirement l’étanercept en monothérapie, le méthotrexate en monothérapie ou les deux agents en association. Bien que cet essai n’ait pas été réalisé chez des patients dont la maladie progressait rapidement, auquel cas la maladie aurait été plus difficile à maîtriser, le groupe recevant à la fois l’étanercept et le méthotrexate a obtenu de meilleurs résultats que le groupe recevant le méthotrexate seul. Lors de la phase de prolongation ouverte, qui comportait 227 patients, les deux groupes qui avaient d’abord reçu la monothérapie sont passés au traitement d’association, mais les résultats n’ont pas été aussi bons que chez les patients qui avaient reçu le traitement d’association d’emblée.

Mise à jour de l’essai BeST

Lorsque l’on compare les inhibiteurs du TNFa, le point qui suscite le plus d’intérêt est peut-être le degré de destruction articulaire. Bien que le soulagement des symptômes ait son importance, le rôle premier de ces traitements est de stopper la progression de la maladie afin de faire échec à l’incapacité future. Des questions comme l’inhibition relative du TNFa et la maîtrise de la cascade inflammatoire pourraient se traduire par une protection relative différente contre l’atteinte structurelle de l’articulation. La capacité relative de ces agents à induire une rémission soutenue, même après l’arrêt du traitement, est un autre point qui retient l’attention. Selon les nouvelles données à trois ans de l’essai BeST, dont l’objectif était d’évaluer quatre stratégies de traitement dans la PR précoce (symptômes depuis moins de deux ans), 55 % des patients du groupe infliximab/méthotrexate ont mis fin à leur traitement par l’infliximab. Bien qu’une petite proportion l’ait fait en raison d’une maîtrise sous-optimale de la maladie, la plupart avaient bénéficié d’une diminution assez marquée de l’inflammation pour recevoir seulement un DMARD ou un agent oral qui assurerait la maîtrise continue de leur PR. Cela dit, une minorité importante de patients a arrêté tout traitement (Figure 2).

Figure 2. Essai BeST : Résultats
ux résultats à 2 ans

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«Fait remarquable, 27 % des patients qui pouvaient mettre fin à leur traitement par l’infliximab de façon permanente ont cessé de prendre tout antirhumatismal et sont demeurés en rémission clinique», affirme le Dr A. Egon Van der Bijl, service de rhumatologie, Centre médical de l’Université de Leyde, Pays-Bas. Bien qu’il ne rejette pas la possibilité que la PR ait en fait disparu chez certains de ces patients, ajoute-t-il, «nous suivons maintenant ces patients pour surveiller la durée de la rémission».

Le début précoce du traitement par un inhibiteur du TNFa chez les patients les plus à risque d’atteinte structurelle de l’articulation est une option intéressante, mais le coût est un obstacle à la sélection des patients à traiter. Plusieurs experts, dont le Dr Emery, croient que nous avons besoin de paramètres plus précis pour cerner les patients dont la maladie progresse rapidement et les distinguer des patients dont les poussées sont plus limitées, de sorte que les clichés radiographiques ne sont probablement pas suffisants pour surveiller l’évolution de la maladie. Bien qu’il n’y ait pas encore de consensus sur la combinaison des marqueurs cliniques et biologiques à utiliser pour mieux classer les patients, nous en viendrons probablement à un accord.

«Comme les radiographies traditionnelles ne mettent en évidence que les changements anatomiques visibles à l’œil nu, il faut attendre assez longtemps avant que l’on puisse déceler des changements pertinents. Par conséquent, pour identifier plus tôt les patients dont la maladie risque d’évoluer rapidement, des évaluations plus sensibles, plus rapides et plus fiables de la progression de la maladie s’imposent, fait valoir le Dr Emery. Un grand nombre de facteurs prédictifs possibles de l’atteinte structurelle ont été identifiés, et la plupart sont fondés sur les signes cliniques de l’activité de la maladie et/ou de l’inflammation et les signes radiographiques d’une atteinte.»

Résumé

Un traitement énergique, dont un inhibiteur du TNFa, est indiqué chez les patients dont la PR progresse rapidement, la progression rapide étant définie par la présence d’une inflammation articulaire intense et persistante qui évolue vers une atteinte structurelle. Bien que les anti-inflammatoires les plus puissants aient généralement été réservés pour les cas plus avancés, leur administration plus précoce pourrait prévenir l’atteinte articulaire et l’incapacité permanente. Si la vaste majorité des rhumatologues considèrent que les patients dont la PR évolue rapidement forment un sous-groupe clinique distinct qu’ils traitent différemment, il n’y a pas de consensus sur la meilleure façon d’identifier ces patients. Grâce à l’essai BeST, qui devrait s’échelonner sur cinq ans, on espère qu’un consensus émanera concernant le traitement précoce de la maladie et les retombées du traitement initial sur les scores radiographiques à long terme et la sévérité future de la maladie.

Questions et réponses

Les questions et les réponses qui suivent sont tirées d’un entretien avec le Dr Paul Emery, directeur clinique de rhumatologie, Leeds Teaching Hospitals Trust, professeur titulaire de rhumatologie et chef, unité d’enseignement sur les maladies de l’appareil locomoteur, Leeds University, Royaume-Uni au cours des séances scientifiques.

Q : Si des données montrent que la destruction articulaire peut être atténuée sous l’effet d’un inhibiteur du TNFa, pourquoi l’usage de ces agents n’est-il pas plus répandu?

R : À cause de leur coût. Nous envions les cliniciens aux États-Unis qui semblent autorisés à les utiliser plus tôt, mais ici, en Europe, le coût est très important. Cela dit, le traitement précoce – dont l’objectif serait de prévenir l’incapacité – pourrait offrir un meilleur rapport coût-efficacité qu’un traitement tardif lorsque l’articulation est déjà atteinte, surtout si l’on peut mettre fin à l’administration de l’agent biologique après un certain temps.

Q : Pendant combien de temps un patient chez qui un inhibiteur du TNFa est indiqué devrait-il recevoir ce traitement?

R : C’est une question à laquelle nous n’avons pas de réponse. Aux États-Unis, ils ont tendance à diminuer le traitement graduellement une fois que l’inflammation a été maîtrisée, mais je crois que si nous avions de bons marqueurs fiables, nous serions peut-être en mesure de simplement retirer le traitement sans en diminuer la dose graduellement, dans l’espoir qu’au moins un certain nombre de patients demeurent en rémission.

Q : En général, les patients reçoivent-ils un DMARD et un inhibiteur du TNFa?

R : Les meilleures données dont nous disposons portent sur le méthotrexate et un inhibiteur du TNFa. Dans un grand nombre de cas, nous aurions intérêt à maintenir l’administration du méthotrexate après l’arrêt du traitement par l’inhibiteur du TNFa.

Q: Les inhibiteurs du TNFa ont-ils changé les objectifs du traitement?

R : Nous regardons la rémission d’un autre œil. Les patients aspirent à un soulagement immédiat de leurs symptômes, mais nous devons aussi nous préoccuper de l’intégrité de l’articulation à long terme. Grâce à une maîtrise plus puissante de l’inflammation, nous avons la possibilité d’améliorer le pronostic.

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