Comptes rendus

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Traiter la triade symptômes du bas appareil urinaire, vessie hyperactive et hypertrophie bénigne de la prostate

Prise en charge de la dépendance aux opioïdes dans un contexte de soins primaires

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

La 38e Conférence scientifique-médicale annuelle de l’American Society of Addiction Medicine

Miami, Floride / 26-29 avril 2007

En 2001, dans une déclaration de consensus, des intervenants clés en toxicomanie et en médecine de la douleur en Amérique du Nord ont défini la toxicomanie comme une «maladie primitive, chronique et neurobiologique» découlant de divers facteurs génétiques, psychosociaux et environnementaux. Cette reconnaissance de la toxicomanie en tant que maladie a eu lieu moins d’un an après la promulgation aux États-Unis d’une loi sur le traitement des toxicomanies (2000) prévoyant la mise sur pied d’un programme national de traitement des toxicomanies en cabinet.

Pharmacologie

Les programmes classiques de traitement de la dépendance aux opioïdes reposant sur la méthadone ou le lévacétylméthadol se sont révélés efficaces, mais ces agents causent aussi des problèmes, note le Dr Angel Gonzalez, San Juan, Porto Rico, expert en toxicomanie. L’héroïne et la méthadone sont des agonistes purs des récepteurs mu. «Or, la fixation d’un agoniste pur au récepteur mu active ce dernier et le renforce considérablement, indique-t-il. L’agoniste pur est le type d’opioïde le plus toxicomanogène.»

Par comparaison aux agonistes purs, les agonistes partiels des récepteurs mu comme la buprénorphine entraînent une activation moindre du récepteur, ont moins d’effets renforçateurs et comportent un risque moindre de dépendance. Comme les agonistes purs des récepteurs mu, les agonistes partiels administrés à faible dose exercent une activité croissante spécifique sur le récepteur. Par contre, quand on les administre à forte dose et qu’il en résulte une fixation solide à tous les récepteurs mu, ils n’exercent pas leur effet opioïde maximal.

Un antagoniste des récepteurs mu comme la naloxone occupe le récepteur sans l’activer. La liaison de l’antagoniste au récepteur opioïde sans activation bloque la liaison des agonistes purs, qui sont les plus toxicomanogènes.

L’utilisation répétée d’opioïdes qui activent les récepteurs mu donne lieu à une tolérance physique acquise et à la dépendance, précise le Dr Gonzalez. Le sevrage cause divers symptômes de sévérité croissante avant d’atteindre un paroxysme après plusieurs jours, puis de graduellement s’estomper sur plusieurs jours supplémentaires. Dans le cas de l’héroïne, le syndrome de sevrage spontané s’étend généralement sur une période de quatre à sept jours, alors qu’il peut atteindre deux semaines dans le cas de la méthadone. En revanche, le syndrome de sevrage précipité des opioïdes commence en quelques minutes et, en général, il ne dure pas plus de deux jours. Dans le cas de la naloxone (antagoniste), le syndrome de sevrage peut se résorber en une demi-heure ou moins. «La buprénorphine précipite le sevrage seulement quand elle déloge un agoniste pur du récepteur mu, enchaîne le Dr Gonzales. Comme elle n’active le récepteur que partiellement, la buprénorphine cause une diminution nette de l’activation, d’où le sevrage.»

La préparation sublinguale de buprénorphine/naloxone se prête bien à un traitement en cabinet. En tant qu’agoniste partiel, la buprénorphine est moins toxicomanogène, quoique le risque ne soit pas tout à fait nul. La naloxone est active lorsqu’elle est administrée par voie parentérale, mais ne l’est pas par voie orale ou sublinguale. Les patients dépendants des opioïdes qui écrasent et dissolvent la préparation sublinguale pour se l’injecter n’en retirent pas les effets recherchés.

«Si le patient est dépendant des opioïdes, la naloxone peut entraîner des symptômes de sevrage, ce qui en diminue l’attrait pour la revente, note le Dr Gonzalez. De plus, elle bloque totalement ou du moins en partie l’effet agoniste opioïde de la buprénorphine, de sorte que le médicament demeure sûr même s’il est revendu.»

Diminution du risque de surdose

La buprénorphine s’est révélée sûre pour l’administration à court ou à long terme. Ses principaux effets indésirables sont les nausées et la constipation, qui ont tendance à être moins sévères et à davantage se résorber d’elles-mêmes qu’avec d’autres agonistes des récepteurs mu. L’expérience clinique n’a objectivé aucune dysfonction cognitive ou psychomotrice notable. Quelques cas isolés d’hépatite réversible avec élévation des taux d’enzymes hépatiques ont été signalés (Hervé et al. Eur J Gastroenterol Hepatol 2004;16:1033-7). L’expérience clinique a mis au jour un risque minime de surdose; la dépression respiratoire, quoique possible, n’a pas été signalée lors des essais cliniques. Si la buprénorphine est associée à d’autres dépresseurs du système nerveux central, la surdose est possible.

«En France, où les comprimés de buprénorphine [sans naloxone] sont commercialisés depuis longtemps, la dépression respiratoire a entraîné la mort chez quelques patients qui avaient dissous le comprimé et l’avaient pris en association avec une benzodiazépine, explique le Dr Gonzalez. Il n’y a aucune contre-indication absolue à l’emploi de la buprénorphine en association avec une benzodiazépine, mais on doit prévenir le patient du risque d’interaction. Je ne [l’]utiliserais probablement pas si le patient avait des antécédents évidents de trouble lié à l’utilisation des benzodiazépines.»

Lors des essais cliniques, l’agoniste partiel s’est révélé plus efficace qu’un placebo et équivalent à la méthadone à dose modérée, affirme la Dre Laura McNicholas, spécialiste en toxicomanie et professeure adjointe de psychiatrie, University of Pennsylvania, Philadelphie. Lors d’un vaste essai clinique randomisé, des héroïnomanes ont reçu entre 1 mg et 16 mg de buprénorphine pendant 16 semaines (Ling et al. Addiction 1998;93:475-86). Toutes les doses sauf celle de 1 mg (substitut du placebo) ont atténué le besoin impérieux d’héroïne de façon similaire.

On a comparé un traitement d’entretien par la buprénorphine et l’arrêt du traitement dans un essai randomisé chez 40 patients (Kakko et al. Lancet 2003;361:662-8). Les sujets recevaient un traitement d’entretien par la buprénorphine sublinguale (16 mg/jour) ou un traitement de six jours suivi d’un placebo. Les patients affectés au groupe arrêt du traitement ont rechuté rapidement à l’arrêt du traitement actif, alors que ceux de l’autre groupe ont poursuivi leur traitement.

On a comparé la buprénorphine avec et sans naloxone lors d’un petit essai croisé et randomisé qui portait sur des patients recevant un traitement d’entretien stable par la méthadone (Mendelson et al. Biol Psychiatry 1997;41:1095-101). Les sujets recevaient par voie intraveineuse (i.v.) quatre cycles de traitement par la buprénorphine, la naloxone, l’association ou un placebo. La buprénorphine seule a eu des effets agonistes opioïdes minimes, tandis que la naloxone seule a entraîné des symptômes rapides et sévères de sevrage des opioïdes. L’injection de l’association par voie i.v. a entraîné des symptômes semblables à ceux de la naloxone seule.

«L’association buprénorphine/naloxone se comporte comme la naloxone seule lorsqu’elle est injectée par voie i.v., souligne la Dre McNicholas. Le risque de dépendance à l’association est probablement très faible chez les patients recevant un traitement d’entretien par la méthadone.»

Abus de médicaments d’ordonnance

Malgré l’absence de statistiques précises, il ressort d’un rapport de 2005 du Centre canadien de lutte contre l’alcoolisme et les autres toxicomanies (Toxicomanie au Canada : Enjeux et options actuels) que l’abus de médicaments contrôlés est un problème de taille en santé publique. Selon ce rapport, le Canada a l’un des taux les plus élevés au monde de consommation par habitant de narcotiques, de sédatifs-hypnotiques et d’amphétamines d’ordonnance. Selon une étude réalisée à Toronto, 11 % des patients hospitalisés pour le traitement d’une toxicomanie en Ontario étaient aux prises, entre autres, avec une dépendance à des médicaments d’ordonnance. D’après un sondage mené auprès de ménages américains en 2001, près de 10 % des personnes de 12 ans et plus avaient pris des médicaments d’ordonnance à des fins non médicales.

L’expérience clinique montre que la préparation sublinguale de buprénorphine/naloxone est sûre et efficace pour contrer la consommation abusive de médicaments d’ordonnance, précise le Dr Anton Bizzell, Substance Abuse and Mental Health Services Administration, Rockville, Maryland. Ce dernier présentait des données sur l’issue du traitement à 30 jours chez plus de 400 patients aux prises avec une dépendance à divers opioïdes d’ordonnance et drogues illicites. Le taux de persévérance se situait entre 93 % et 95 % chez les patients dépendants de l’héroïne, d’autres opioïdes ou d’une combinaison des deux. L’issue du traitement telle que rapportée par les patients était semblable dans les trois groupes. Globalement, 84 % des patients s’étaient abstenus de consommer tout opioïde autre que la buprénorphine durant le traitement, et 46 % des patients ont continué de s’abstenir de consommer drogues et alcool.

«Une proportion élevée de patients traités par la buprénorphine semblent dépendants aux opioïdes autres que l’héroïne, comme les analgésiques, fait valoir le Dr Bizzell. À 30 jours, le traitement par la buprénorphine semble efficace sur les plans de la persévérance du traitement, de l’utilisation d’opioïdes autres que la buprénorphine et de l’abstinence d’alcool et d’autres drogues.»

Expérience clinique au quotidien

Le Dr Richard Guzzetta, spécialiste en médecine familiale, Touchstone Medical Group, Clovis, Californie, a présenté des statistiques «réelles» sur la désintoxication par la buprénorphine/naloxone chez des patients dépendants des opioïdes. Ses données portaient sur près de 300 patients inscrits à un programme ambulatoire de deux semaines. Environ 97 % des patients ont terminé le programme de désintoxication. Le Dr Guzzetta n’avait pas de données sur les récidives, mais il estime que les résultats sont prometteurs. «Les résultats sont à l’opposé de ce que j’observe avec la méthadone», souligne-t-il, rappelant qu’il ne s’agissait pas d’un programme universitaire ou spécialisé. C’est donc dire que les médecins de premier recours peuvent traiter efficacement la dépendance aux opioïdes.

Résumé

La préparation sublinguale de buprénorphine/naloxone permet de traiter la dépendance aux opioïdes en premier recours en réduisant au minimum le risque d’abus ou de revente. En tant qu’agoniste partiel des récepteurs opioïdes, elle comporte un risque moindre d’abus et de revente que la méthadone, qui est un agoniste pur. La présence de la naloxone dans la préparation sublinguale réduit davantage le risque d’abus ou de revente en causant des symptômes de sevrage indésirables si le comprimé est écrasé, dissous et injecté.

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