Comptes rendus

Élargissement de l’éventail d’options chez les patients infectés par le VIH au lourd passé thérapeutique
Observance du traitement de la colite ulcéreuse : la clé de meilleurs résultats à long terme

Puissance soutenue de l’antibiothérapie contre les infections multirésistantes

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

6e Conférence interscience sur les agents antimicrobiens et la chimiothérapie (ICAAC)

San Francisco, Californie / 27-30 septembre 2006

Le défi que nous lancent les «superbactéries» multirésistantes pouvant survivre aux antibiotiques à large spectre – que l’on réservait jadis aux agents pathogènes les plus réfractaires – est de plus en plus difficile à relever. Il est possible de combattre individuellement de nombreuses infections résistantes au traitement pour autant que l’antibiotique soit approprié et qu’il soit administré en dose suffisante. Prises collectivement, cependant, les superbactéries présentent un spectre croissant de mécanismes de résistance qui compliquent le traitement empirique, même dans les établissements dotés de programmes de surveillance efficaces. Le développement d’antibiotiques est maintenant axé sur la mise au point d’agents qui peuvent neutraliser plus d’un mécanisme de résistance, l’objectif étant de conserver la puissance contre les bactéries multirésistantes, même lorsqu’on ignore l’agent pathogène en cause. La tigécycline est le prototype de cette nouvelle stratégie. Les infections résistantes demeurent très sensibles à cet agent, même si ce dernier est commercialisé dans un grand nombre de pays depuis plus d’un an. Un vaste éventail d’études cliniques et d’expériences présentées à l’ICAAC portaient sur les applications établies et éventuelles de ce traitement.

Une étude réalisée au Canada confirme l’activité à large spectre

Une étude réalisée au Canada a permis de générer des données très convaincantes sur l’activité de la tigécycline contre de multiples superbactéries. Dirigée par le Dr George G. Zhanel, Health Sciences Centre, University of Manitoba, Winnipeg, l’étude visait à évaluer la sensibilité d’au plus 300 isolats dans chacun des 19 centres participants. Selon des seuils de sensibilité modestes, essentiellement tous les isolats de Staphylococcus aureus résistant à la méthicilline (SARM) et d’entérocoques résistants à la vancomycine (ERV) ont été sensibles à la tigécycline. Les chercheurs ont aussi observé des taux très élevés de sensibilité dans le cas des bactéries productrices de bêta-lactamases à spectre étendu (BLSE) et d’autres agents pathogènes parfois réfractaires, comme Klebsiella pneumoniae et Stenotrophomonas maltophilia. Dans cette étude, les isolats ont été prélevés dans le sang, les urines, les plaies et les voies respiratoires.

«La tigécycline est très active contre les micro-organismes résistants», soutient le Dr Zhanel, qui a comparé cet agent avec l’association pipéracilline/tazobactam, la céfazoline, la ceftriaxone, le céfépime, la gentamicine, la ciprofloxacine, la lévofloxacine, le méropénem et la vancomycine. Lors de cette étude, le seul agent pathogène qui s’est montré considérablement moins sensible à la tigécyline qu’à un ou plusieurs agents de comparaison était Pseudomonas aeruginosa. Bien que la sensibilité au méropénem de S. aureus et d’Escherichia coli ait aussi été de 100 %, ce dernier agent s’est révélé inefficace contre SARM (vs 100 % pour la tigécycline) et moins efficace à la fois contre les espèces du genre Enterococcus (55,4 % vs 79,3 %) et S. maltophilia (4,7 % vs 72 %). Les seuls autres cas de sensibilité à 100 % dans cette série ont été les suivants : S. aureus à la vancomycine et à l’association pipéracilline/tazobactam; SARM à la vancomycine; et les espèces du genre Acinetobacter à la lévofloxacine.

Des résultats similaires se sont dégagés d’une analyse longitudinale réalisée aux États-Unis sur l’activité de la tigécycline contre S. aureus ainsi que les espèces du genre Acinetobacter et les entérobactéries reconnues pour leur multirésistance. Des isolats recueillis dans 83 centres géographiquement distincts en 2003 et en 2004 ont été comparés, sur le plan de la sensibilité, à des isolats recueillis dans 73 centres en 2005 et en 2006. En tout, 47 centres ont fourni des isolats pendant les deux périodes. Une analyse de sous-groupe a été effectuée pour les isolats dont la multirésistance se définissait par l’absence de sensibilité à au moins trois agents.

Aucune variation de la sensibilité observée au fil du temps

«On n’a observé aucun cas de non-sensibilité, y compris dans les souches multirésistantes, au cours des deux périodes de l’étude», souligne le Dr Michael Cohen, Focus Bio-Inova, Herndon, Virginie. On a même relevé une sensibilité de 100 % de tous les isolats de S. aureus, résistants ou non au traitement, au cours de la première et de la deuxième période de surveillance. La sensibilité des isolats des espèces du genre Acinetobacter – qui était de 96,9 % pour l’ensemble des isolats et de 91,7 % pour le sous-groupe de souches multirésistantes pendant la première période – est passée à 100 % au cours de la deuxième. Les auteurs ont attribué ce résultat à la stabilité de l’activité de la tigécycline contre les espèces du genre Acinetobacter. Dans le cas des entérobactéries, la sensibilité est restée stable pour l’ensemble des isolats (99 % en 2003-2005 et 99,1 % en 2005-2006) et pour le sous-groupe des isolats multirésistants (97,7 % en 2003-2004 et 96,7 % en 2005-2006).

À ce jour, la puissance de la tigécycline s’est maintenue contre les bactéries résistantes. Selon la surveillance de plus de 38 000 isolats cliniques recueillis dans 213 centres répartis dans 30 pays sur une période de deux ans, on n’a enregistré essentiellement aucune variation de la sensibilité des bactéries selon une concentration inhibitrice de 50 % (CI50) ou de 90 % (CI90). Peut-être par hasard, les concentrations minimales inhibitrices (CMI) ont en fait baissé au fil du temps dans le cas de S. pneumoniae, résultat que l’on explore maintenant plus en détail. Lors du programme TEST (Tigecycline Evaluation Surveillance Trial), cette sensibilité accrue de S. pneumoniae a été le seul cas où l’on a relevé une différence de plus d’une dilution lorsqu’on comparait les résultats de 2004, de 2005 et de 2006.

L’efficacité clinique de la tigécycline concorde avec les résultats des études précliniques à l’appui de l’homologation de ce traitement. La tigécycline est le premier antibiotique de la classe des glycylcyclines, dont la structure s’apparente à celle des tétracyclines, mais dont l’affinité pour les ribosomes bactériens est considérablement plus marquée. Cette affinité améliore beaucoup la capacité de ces antibiotiques à inhiber la synthèse des protéines dont la bactérie a besoin pour survivre. On attribue ce changement de la structure chimique à la capacité des glycylcyclines à contrecarrer à la fois les mécanismes d’efflux et de modification de la cible ribosomale, principaux mécanismes de résistance aux tétracyclines. Les glycylcyclines, quant à elles, maintiennent une activité marquée contre les bactéries Gram positif, Gram négatif, aérobies et anaérobies.

Résistance difficile à obtenir même en laboratoire

«La résistance à la tigécycline est difficile à produire même en laboratoire», observe le Dr Iciar Rodriguez-Avial, service de microbiologie clinique, Hospital Clínico San Carlos, Madrid, Espagne. Auteur d’une étude visant à évaluer la sensibilité de SARM, le Dr Rodriguez-Avial estime que, compte tenu des difficultés que nous avons eues à obtenir des souches résistantes en laboratoire, «il n’est pas étonnant que nous n’ayons pas encore observé de variation substantielle de la sensibilité en clinique».

Dans le cadre de son étude, 116 isolats de SARM ont été prélevés dans des hémocultures entre 2002 et 2005. Son équipe a évalué la sensibilité de SARM aux antibiotiques suivants : tigécycline, vancomycine, téicoplanine, rifampicine, lévofloxacine, gentamicine, linézolide et érythromycine. Les seuils recommandés par le Clinical and Laboratory Standards Institute (CLSI) ont été utilisés. Dans le cas de la tigécycline, ce seuil était <0,5 µg/mL. On a relevé une sensibilité totale de tous les isolats seulement à la tigécycline, à la vancomycine et à la téicoplanine, mais la CMI de la tigécycline était beaucoup plus faible que celle des agents de comparaison.

«L’activité de la tigécycline contre SARM était supérieure à celle de tous les agents antimicrobiens testés, y compris la vancomycine et la téicoplanine, rapporte le Dr Rodriguez-Avial. Sa forte activité in vitro contre SARM devrait en faire un médicament très utile pour le traitement des infections staphylococciques difficiles.»

SARM d’origine extra-hospitalière : un défi grandissant

Cet agent est aussi actif contre SARM d’origine extra-hospitalière. Comme les infections résistantes finissent par se retrouver en milieu communautaire, il est essentiel d’instaurer le traitement approprié sans délai afin de réduire le risque de morbidité appréciable, voire de mortalité. Dans le programme SENTRY de surveillance des résistances, l’activité de la tigécycline a fait l’objet d’une évaluation spécifique dans 951 isolats de SARM considérés comme étant d’origine extra-hospitalière, lesquels étaient issus d’un groupe plus vaste de 2898 isolats. La sensibilité de ces isolats d’origine extra-hospitalière, qui représentaient 33 % de l’échantillon total, était presque exactement la même (98,2 %) que celle des isolats de SARM nosocomial (98,5 %). Dans un sous-groupe d’isolats extra-hospitaliers exprimant le gène codant pour la leucocidine de Panton-Valentine (PVL), la sensibilité à la tigécycline a atteint 100 %.

Comme le souligne le Dr Ronald N. Jones, JMI Laboratories, North Liberty, Iowa, auteur principal de l’étude et investigateur principal de SENTRY, «la tigécycline a été très active contre SARM, peu importe l’origine de l’infection. La tigécycline devrait donc constituer une excellente option pour le traitement des infections à SARM, y compris les infections à SARM extra-hospitalier producteur de PVL contractées en milieu communautaire.»

Pneumonie d’origine extra-hospitalière

L’utilisation de ce nouvel antibiotique a fait l’objet d’études de phase III dans le traitement de la pneumonie d’origine extra-hospitalière (PEH). Dans un rapport où l’on combinait les résultats de deux études de phase III multicentriques menées à double insu, on a observé un taux élevé d’efficacité par rapport à la lévofloxacine, l’agent de comparaison dans les deux études. Ces deux études avaient des plans très similaires : après randomisation, des patients souffrant de PEH qui étaient hospitalisés recevaient la tigécycline par voie intraveineuse (i.v.) à la dose initiale de 100 mg, puis de 50 mg aux 12 heures, ou la lévofloxacine i.v. à la dose de 500 mg aux 12 heures. Dans l’une des études, les patients pouvaient passer à la lévofloxacine orale après au moins trois jours de traitement i.v.

L’analyse en intention de traiter (IT) des deux études combinées portait sur 846 patients, et 574 patients s’étaient prêtés en fin d’étude à une culture visant à confirmer la guérison bactériologique. Selon l’analyse en IT, la guérison a été obtenue chez 81 % des patients du groupe tigécycline vs 79,7 % des patients du groupe lévofloxacine. Selon l’analyse des cas observés, les taux de guérison étaient respectivement de 89,7 % et de 86,3 %. Bien que l’avantage de la tigécycline n’ait pas atteint le seuil de signification statistique, une analyse statistique a confirmé la non-infériorité de cette dernière. Les effets indésirables étaient plus fréquents dans le groupe tigécycline : nausées (24,3 % vs 8,3 %; p<0,001), vomissements (16 % vs 5,7 %; p<0,001) et douleurs abdominales (5,7 % vs 2,1 %; p<0,05); par contre, l’élévation des taux d’enzymes hépatiques, dont ALT (2,8 % vs 7,3 %; p<0,01) et AST (2,6 % vs 6,9 %; p<0,01), était significativement plus marquée chez les patients qui recevaient la lévofloxacine. Les abandons pour cause d’effets indésirables étaient peu fréquents dans les deux cohortes : 6,1 % dans le groupe tigécycline et 8,3 % dans le groupe lévofloxacine.

«Il n’y avait aucune différence significative entre les groupes de traitement quant à la réponse microbiologique du patient ou selon les agents pathogènes respiratoires présents initialement», soulignent les investigateurs de l’étude. Bien que S. pneumoniae ait été l’agent pathogène le plus fréquent dans cette étude, de nombreux micro-organismes étaient représentés, dont Chlamydia pneumoniae, Haemophilus influenzae, Moraxella catarrhalis et Legionella pneumophilia.

Infections à B. fragilis ou à E. coli résistantes

Dans une étude conçue pour évaluer la tigécycline contre Bacteroides fragilis, 397 isolats cliniques provenant d’un seul hôpital ont été évalués entre 2003 et 2005. L’activité de la tigécycline a été comparée à celle du métronidazole, du chloramphénicol, de la clindamycine, de la moxifloxacine, de la céfoxitine, de l’imipénem, de l’association pipéracilline/tazobactam et de l’association amoxicilline/clavulanate. Bien que l’imipénem, l’association pipéracilline/tazobactam et la tigécycline aient été les agents les plus actifs par rapport aux bêta-lactamines, quatre souches se sont révélées résistantes à l’imipénem. Toutes ces souches ont été inhibées par la tigécycline à des concentrations de 0,5 à 8 µg/mL.

Comme le précise la Dre Carmen Betriu, Hospital Clínico San Carlos, «la tigécycline a exercé une activité puissante contre la plupart des isolats du groupe B. fragilis». Auteure principale de l’étude, la Dre Betriu conclut que «la tigécycline pourrait être utile pour le traitement des infections mixtes à anaérobies causées par B. fragilis».

Dans le cadre d’une autre étude dirigée par le Dr Zhanel, l’activité pharmacodynamique de la tigécycline contre de multiples souches d’E. coli productrices de BLSE a été évaluée dans trois isolats, qui étaient tous résistants à la lévofloxacine et à l’association triméthoprime/sulfaméthoxazole. L’un des isolats était aussi résistant aux aminosides. L’étude a révélé que la tigécycline était bactériostatique à un ratio ASC:CMI de 4,2, ce qui donne à penser que «la tigécycline pourrait servir au traitement des infections causées par des souches multirésistantes d’E. coli productrices de BLSE.»

À l’heure actuelle, la tigécycline est indiquée chez les adultes pour le traitement des infections de la peau et des tissus mous compliquées causées par E. coli, E. faecalis sensible à la vancomycine, S. aureus (souches sensibles et résistantes à la méthicilline), S. agalactiae, S. anginosus, S. pyogenes et B. fragilis. Elle est aussi indiquée pour le traitement des infections abdominales compliquées causées par un vaste éventail d’agents pathogènes Gram négatif, Gram positif et anaérobies. Cependant, le nombre d’indications est en hausse, et l’utilisation la plus importante pourrait être le traitement empirique lorsqu’on ignore l’agent pathogène en cause, vu son large spectre d’activité. Il importe ici de souligner que la tigécycline exerce in vitro une activité moindre contre les espèces des genres Proteus, Providencia et Morganella. P. aeruginosa se caractérise par une résistance inhérente.

«C’est un médicament très utile pour les infections difficiles où certains agents pathogènes possiblement en cause seraient multirésistants», affirme le Dr Sam K. Bouchillon, Laboratories International for Microbiology Studies, Schaumburg, Illinois. «À tout le moins, il est très logique de commencer par ce médicament, puis de passer à un agent plus spécifique lorsque nous recevons les résultats des cultures.»

Résumé

Vu le nombre croissant d’agents pathogènes associés à des taux élevés de résistance, on tente de mettre au point des antibiotiques capables de combattre les multiples mécanismes de résistance. La tigécycline, prototype de cette démarche, s’est révélée polyvalente dans la pratique clinique aux États-Unis et en Europe. La difficulté à produire en laboratoire des souches résistantes à cet agent semble se prolonger dans les applications cliniques. Les programmes de surveillance en cours au Canada, aux États-Unis et en Europe n’ont pas encore mis en évidence de variation importante de la sensibilité des agents pathogènes les plus difficiles à traiter. L’efficacité de cet agent pourrait stimuler la mise au point d’antibiotiques capables de surmonter de multiples mécanismes de résistance, l’objectif ultime étant de garder une longueur d’avance sur le problème sans cesse grandissant des bactéries résistantes.

Questions et réponses

La section qui suit est fondée sur des discussions avec le Dr George G. Zhanel, Health Sciences Centre, University of Manitoba, Winnipeg, durant les séances scientifiques.

Q : La sensibilité des agents pathogènes résistants testés était-elle variable dans les 19 centres ou les effets de la tigécycline ont-ils été plutôt constants?

R : Nous n’avons observé aucune variabilité. SARM, SASM [S. aureus sensible à la méthicilline], les ERV et la plupart des bactéries productrices de BLSE étaient tous sensibles à la tigécycline.

Q : À votre avis, la tigécycline est-elle un choix logique pour le traitement empirique à l’unité des soins intensifs durant l’intervalle où l’on attend les résultats des cultures?

R : La tigécycline est très active contre les agents pathogènes résistants que l’on trouve à l’unité des soins intensifs, de sorte que, oui, ce serait un choix logique en pareil cas.

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