Comptes rendus
Regard approfondi sur la neurofibromatose de type 1 : expériences et points de vue d’experts
Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.
PRESSE PRIORITAIRE - SNO 2023 : Assemblée annuelle de la Society for NeuroOncology
Vancouver, Colombie-Britannique / 15–19 novembre 2023
Vancouver – La Society for NeuroOncology (SNO) réunit des cliniciens et des chercheurs de partout dans le monde s’intéressant aux tumeurs malignes du système nerveux central. Axé en grande partie sur le diagnostic et la prise en charge des tumeurs cérébrales malignes, le congrès de 2023 comportait aussi des séances scientifiques et éducatives d’intérêt sur d’autres tumeurs malignes ou non malignes touchant des nerfs et des cellules de soutien de tout l’organisme. Des sommités mondiales ont jeté un regard approfondi sur l’impact clinique de la neurofibromatose de type 1 (NF1) – syndrome monogénique au tableau clinique très variable qui prédispose le patient à l’apparition de tumeurs – et sur les pratiques exemplaires pour le diagnostic et la prise en charge. Il sera question ici de notre actuelle compréhension de deux grands types de tumeurs associées à la NF1 – les neurofibromes plexiformes et les neurofibromes cutanés – et de leur prise en charge.
Rédactrice médicale en chef : Dre Léna Coïc, Montréal, Québec
« Bien que rare, la NF1 est le syndrome de prédisposition au cancer le plus fréquent dans le monde. Elle touche environ une personne sur 2500 à 3000, ce qui représente environ 120 nouveaux diagnostics par jour aux États-Unis », expliquait la Dre Laura Klesse, UT Southwestern Medical Center, Dallas, à la Journée éducative 2023 de la SNO. « C’est clairement un syndrome de prédisposition aux tumeurs : à 50 ans, le risque cumulatif de cancer chez ces personnes se situe entre environ 20 et 39 %, ce qui est 2 à 10 fois plus plus élevé que dans la population générale. » La NF1, maladie héréditaire autosomique dominante à pénétrance complète, découle de variants pathogènes du gène NF1, mais son tableau clinique est fort variable, dit-elle. La Dre Klesse a fait un tour d’horizon des manifestations cliniques de la NF1 :
- changements dans la pigmentation de la peau : taches café au lait (jusqu’à 90 % des personnes atteintes de NF1), souvent à la naissance ou dans la petite enfance; lentigines des plis cutanés aussi fréquentes (≈ 75 %);
- manifestations ophtalmologiques, notamment nodules de Lisch et anomalies choroïdiennes, généralement asymptomatiques;
- dysfonctionnements neurocognitifs et/ou sociaux (30 à 65 %);
- neurofibromes cutanés et sous-cutanés, présents chez la majorité des adultes;
- gliomes des voies optiques, typiquement de bas grade (20 à 30 %);
- neurofibromes plexiformes (NP) (30 à 50 %); considérés comme bénins, mais exposant le patient à des risques significatifs, notamment douleurs, défigurement, atteinte fonctionnelle d’un organe ou d’un membre, et évolution vers des tumeurs malignes des gaines nerveuses périphériques (MPNST)1.
La Dre Miriam Bornhorst, Gilbert Neurofibromatosis Clinic et George Washington University, Washington, DC, a fait un survol de la physiopathologie de la NF1 et des cibles possibles du traitement médicamenteux. « NF1 est un gène suppresseur de tumeur qui fait obstacle à la croissance anormale des cellules. La perte de cette fonction entraîne la formation d’une tumeur et, selon la localisation de la perte, différents types de tumeurs émergent », explique-t-elle. L’altération du gène NF1 nuit à la production de la neurofibromine, protéine suppresseur de tumeur qui inhibe normalement la prolifération cellulaire dépendant de la voie RAS-MAPK et des voies de signalisation croisée connexes. Les médicaments ciblant les composants de RAS-MAPK et des voies connexes sont donc des options rationnelles à évaluer dans la NF12.
Actualités dans la prise en charge des NP-NF1
« Bien que les NP soient histologiquement bénins, ils peuvent causer beaucoup de problèmes et une importante morbidité », affirme la Dre Andrea Gross, National Cancer Institute, Bethesda, Maryland. Selon leur localisation et/ou leur architecture, la chirurgie est souvent impossible, mais même quand elle est possible, la résection est rarement complète et il est fréquent que la tumeur réapparaisse3.
L’une des options de traitement pour les NP inopérables est le sélumétinib, inhibiteur oral de MEK dans la voie RAS-MAPK maintenant homologué au Canada et dans de nombreux autres pays pour la prise en charge des NP inopérables associés à la NF1 (NP-NF1) chez les 2 ans ou plus. Les congressistes ont pu entendre la Dre Gross, l’un des acteurs clés du programme de recherche, parler de l’historique du développement du sélumétinib. L’essai de phase 1, qui visait surtout à déterminer la dose maximale tolérée de sélumétinib chez des enfants atteints de NP inopérables, a objectivé une régression étonnante de la tumeur chez de nombreux patients. « Ce gain anecdotique a suscité de l’enthousiasme, mais aucune mesure fonctionnelle prospective n’avait été prévue, enchaîne la Dre Gross. C’est ainsi qu’a vu le jour SPRINT, essai pivot de phase 2 sur le sélumétinib dont le paramètre principal était le taux de réponse globale, mais qui comportait aussi des objectifs secondaires majeurs axés sur des critères fonctionnels et des critères d’autoévaluation3 ».
Dans SPRINT, 68 % des patients ont eu une réponse partielle confirmée selon l’analyse volumétrique des tumeurs; 72 % des enfants et 86 % de leurs parents ont rapporté des améliorations subjectives du fardeau symptomatique global. Tous les patients ont eu au moins un effet indésirable (EI) mais la vaste majorité des EI (97 %) étaient légers (grade 1 ou 2); les plus fréquents touchaient l’appareil digestif (diarrhée, nausées, vomissements) ainsi que la peau et les ongles (éruption cutanée, paronychie)3,4.
Pour mieux évaluer le profil d’innocuité et d’efficacité du sélumétinib sur une longue période, la DreGross et son équipe ont fait une analyse groupée des essais de phase 1 et 2, laquelle a été publiée peu avant SNO 20235. « Nous avons pu étudier 45 cycles de plus, soit presque 3 ans et demi à 4 ans, affirme-t-elle. Nous n’avons observé aucun nouveau problème d’innocuité, mais comme beaucoup de ces patients sont encore traités, nous continuons de les surveiller. Nous avons aussi été très rassurés de voir que les améliorations fonctionnelles et subjectives – surtout de la douleur – s’étaient maintenues chez les patients toujours traités3. » Pour les patients sous sélumétinib, la médiane de survie sans progression (SSP) dans les deux essais était d’environ 6,7 ans, contre 1,3 an pour une cohorte semblable de patients non traités dans une étude sur l’évolution naturelle de la maladie (Figure 1)3,5.
Figure 1. Durant le suivi à long terme des NP-NF1, la médiane de SSP sous sélumétinib était supérieure à 6 ans
D’après Gross AM et al. Neuro Oncol 2023; 25(10):1884-18945.
Avancées dans la prise en charge des neurofibromes cutanés
Le neurofibrome cutané (NC) est une manifestation dermatologique courante de la NF1. Bien que classé comme bénin sans risque de transformation maligne, le NC peut causer des douleurs et un prurit importants, poser des problèmes cosmétiques et miner la qualité de vie. Jusqu’à tout récemment, le traitement des NC reposait sur la chirurgie ou d’autres formes d’exérèse ou de réduction de volume de la tumeur physique (p. ex. laser CO2, photocoagulation, ablation par radiofréquence)6. Les traitements topiques se révèlent prometteurs pour soulager les symptômes des NC, comme l’ont montré deux études discutées au congrès; aucun de ces traitements expérimentaux n’est encore homologué au Canada.
Dans une affiche, Dina Poplausky et son équipe, Icahn School of Medicine at Mount Sinai, New York, ont décrit les résultats d’un essai de phase 1 sur la diphencyprone topique chez des adultes porteurs de NC. La diphencyprone – immunomodulateur pouvant agir sur la population existante de cellules immunitaires infiltrant la tumeur – s’est révélée efficace dans le traitement de la pelade et des métastases cutanées du mélanome. Dans cette étude chez 16 adultes porteurs de NC-NF1, un onguent de diphencyprone à 0,04 % était appliqué une fois par semaine pendant 10 semaines; venait ensuite une période de récupération. Dans l’ensemble, les patients ont noté une diminution subjective de la taille des petits NC, bien qu’aucune différence quantitative n’ait été détectée à l’examen histologique. La majorité des EI n’étaient pas imputables au traitement. « La diphencyprone en onguent topique est sûre et bien tolérée chez les adultes atteints de NF1 », concluent les auteurs; des études en cours et à venir évalueront les changements du micro-environnement de la tumeur sous l’effet du traitement et la profondeur de la pénétration du médicament dans les tumeurs7.
Plusieurs présentateurs ont fait état d’un communiqué de presse publié quelques jours plus tôt : y étaient décrits les résultats d’une étude de phase 2b randomisée et comparative avec véhicule sur un inhibiteur de MEK topique – le NFX-179 – chez 199 patients porteurs de NC-NF1. Comparativement au véhicule seul, 44,2 % des patients ayant appliqué le gel de NFX-179 à 1,5 % 1 fois/jour pendant 6 mois sont parvenus à une réduction statistiquement significative de la taille de la tumeur (= régression ≥ 50 % de la partie visible du NC pour au moins 5 des 10 tumeurs traitées)8. « Ce sont des résultats très excitants pour les NC », affirme la Dre Bornhorst, l’un des principaux chercheurs de l’essai6.
Conclusions
L’avènement des traitements ciblés pourrait permettre d’infléchir l’évolution de certains aspects de la NF1, mais la clé d’une prise en charge optimale de la NF1 demeure le repérage rapide et efficace des patients, soulignait la Dre Klesse à la Journée éducative. « Nous, les oncologues, devons reconnaître les patients atteints de NF1. Il existe des recommandations de dépistage très claires pour la NF1, et la présence d’une NF1 devrait avoir un impact sur les décisions thérapeutiques. Il y a ensuite notre compréhension des voies biologiques en cause qui nous permet de [développer ces] nouveaux traitements1 ».
« Nous sommes dans une position unique, surtout en pédiatrie. Non seulement comprenons-nous la pathogenèse et les déterminants de ces tumeurs, mais nous disposons de plusieurs médicaments qui ciblent ces voies : c’est un réel privilège », affirmait le Dr Jason Fangusaro, Emory School of Medicine, Atlanta, dans son résumé de la séance sur les nouveaux médicaments pour le traitement des neurofibromes associés à la NF1. « Je pense que nous commençons en fait à remettre en question quelques-uns des schèmes thérapeutiques de référence que nous utilisons depuis toujours », conclut-il9.
Références
1. Klesse L. Neurofibromatosis 1 Diagnosis and Clinical Features. Présentation orale, Journée éducative, SNO 2023, 15–19 novembre 2023.
2. Bornhorst M. Targeted Therapies in Neurofibromatosis 1. Présentation orale, Journée éducative, SNO 2023, 15–19 novembre 2023.
3. Gross AM. New Therapies in NF1-Associated Neurofibroma. Présentation orale, SNO 2023, 15 au 19 novembre 2023.
4. Gross AM et al. N Engl J Med 2020; 382:1430–1442.
5. Gross AM et al. Neuro Oncol 2023; 25(10):1883–1894.
6. Fisher M et al. Tumors Associated With Neurofibromatosis Type 1: Precision Medicine Approaches to Improve Patient Outcomes Across All Age Groups. Symposium, SNO 2023, 15–19 novembre 2023.
7. Poplausky D et al. Affiche CTIM-04, SNO 2023, 15–19 novembre 2023.
8. Communiqué de presse de NFLection Therapeutics : NFlection Therapeutics Announces Positive Results from Phase 2b Study of NFX-179 Topical Gel in the Treatment of Cutaneous Neurofibromas in Neurofibromatosis Type 1. 13 novembre 2023 : https://www.prnewswire.com/news-releases/nflection-therapeutics-announces-positive-results-from-phase-2b-study-of-nfx179-topical-gel-in-the-treatment-of-cutaneous-neurofibromas-in-neurofibromatosis-type-1-301986305.html
9. Fangusaro J. Introduction: New Drugs on the Market for Pediatric LGG and NF-Associated Neurofibroma. Présentation orale, SNO 2023, 15–19 novembre 2023.