Comptes rendus

Prise en charge des anomalies minérales et osseuses associées à l’insuffisance rénale chronique
Immunosuppression et cancer : changements favorables à l’horizon

Regard sur l’amélioration du traitement par dialyse et la mise à jour des lignes directrices de la K/DOQI

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

Séances cliniques de la National Kidney Foundation du printemps 2006

Chicago, Illinois / 19-23 avril 2006

Dans la première version des lignes directrices de la K/DOQI (Kidney Disease Outcomes Quality Initiative) de la National Kidney Foundation, qui a été publiée en 1997, le groupe de travail sur les abords vasculaires précisait qu’il visait deux grands objectifs : augmenter l’utilisation des fistules artérioveineuses (FAV) natives chez les patients devant être hémodialysés et déceler plus tôt tout dysfonctionnement de l’abord vasculaire avant l’apparition d’une thrombose. Bien que les FAV soient maintenant utilisées davantage, la transition se fait lentement. À l’heure actuelle, moins de 40 % des patients hémodialysés aux États-Unis ont une FAV, même si les données montrent que celles-ci réduisent le taux de thrombose et la nécessité d’interventions diverses, soulignaient le président du groupe, le Dr Anatole Besarab, directeur, recherche clinique, Henry Ford Hospital and Medical Centers, Detroit, Michigan, et sa collègue du groupe de travail, Deborah Brouwer, inf., CNN, dans une publication antérieure (Dialysis & Transplantation 2004;33[11]:694-702).

«La perméabilité de l’abord vasculaire et une hémodialyse appropriée sont essentielles à la prise en charge optimale de l’insuffisance rénale terminale [IRT]», affirment-ils. Les nouvelles lignes directrices continuent de «privilégier les fistules» comme abord permanent pour l’hémodialyse. Les membres du groupe indiquent en effet que le nouvel objectif de FAV est de 60 % vs 40 % dans les lignes directrices de 2001. «Nous nous sommes aussi concentrés sur le rôle de l’imagerie veineuse parce que, à moins d’avoir une bonne veine, il est impossible de confectionner une bonne FAV», affirme le Dr Besarab, ajoutant que les médecins doivent aussi commencer tôt. Voici donc les lignes directrices proposées :

• Les patients ayant un débit de filtration glomérulaire <30 mL/min/1,73 m2 (néphropathie chronique de stade IV) doivent être informés de toutes les modalités de substitution de la fonction rénale, dont la transplantation, de sorte qu’on puisse les diriger vers la modalité appropriée au moment opportun et, au besoin, mettre en place un abord permanent pour la dialyse.

• Chez les patients souffrant de néphropathie de stade IV ou V, les veines de l’avant-bras ou du bras qui se prêtent à la mise en place d’un abord vasculaire ne doivent pas servir à la ponction veineuse ni à la mise en place de cathéters intraveineux, de cathéters sous-claviers ou de cathéters centraux insérés en périphérie.

• Les patients doivent avoir un abord permanent fonctionnel lorsque la dialyse commence.

Ces lignes directrices soulignent l’importance d’avoir un abord permanent fonctionnel en place avant que l’hémodialyse ne devienne nécessaire. La clé du processus est la consultation d’un spécialiste tôt et à temps, insistent les membres du groupe de travail sur les abords vasculaires. Ceux-ci indiquent également que le poignet est le site à privilégier pour une FAV directe, mais comme les fistules sont souvent impossibles à réaliser au poignet, on peut envisager la région du coude. «Les données montrent de façon de plus en plus convaincante que les FAV natives demeurent l’abord privilégié, celles-ci étant associées à une durée de vie plus longue et globalement à moins de pertes», précise le Dr Besarab.

La maturation d’une FAV peut se faire par l’oblitération sélective d’importantes ramifications veineuses latérales en l’absence d’une sténose en aval, prévient le groupe. En outre, ajoute-t-il, si la fistule ne se développe pas comme prévu, le patient doit être vu six semaines après la confection, et des mesures correctives doivent être prises sans délai. Les probabilités d’installation d’un cathéter veineux central (CVC) étant plus élevées que celles de l’installation d’une FAV – en grande partie parce que l’on commet l’erreur de ne pas prévoir la nécessité de l’hémodialyse et que les patients sont réticents à avoir un abord permanent – notent le Dr Besarab et Mme Brouwer, la veine jugulaire interne droite est le site à privilégier pour l’insertion de cathéters à manchon tunnelisés ou de systèmes de cathéter porteur. «Nous préconisons aussi l’utilisation de plus en plus répandue de la technique dite “en boutonnière”, soutient le président, et il va de soi que les mesures de lutte contre l’infection doivent être prises chez tous les patients, surtout quand il est question de cathéters.» On ne dispose d’aucune donnée probante pour étayer un cathéter à embout conique plutôt qu’un cathéter standard, les pontages à support externe plutôt que sans support, les configurations à paroi épaisse plutôt qu’à paroi mince et le matériel élastique plutôt que non élastique. Sur le plan de la conception, le seul changement important que le groupe a relevé est la mise au point d’un matériel pour les greffons qui peut être perforé peu de temps après l’insertion et qui évite ainsi le recours obligatoire à un cathéter chez de nombreux patients.

Examen physique mensuel

Le groupe recommande également qu’un professionnel compétent fasse un examen physique mensuel des FAV et des pontages artérioveineux (AV). «La technologie est merveilleuse, mais elle ne remplace pas l’examen physique, et l’examen approprié d’un abord est un art qui se perd et que l’on doit enseigner à nouveau», fait remarquer le Dr Besarab. Les lignes directrices précédentes et actuelles de la K/DOQI stipulent aussi que les abords fonctionnels, peu importe le type, doivent permettre un débit sanguin supérieur à 300 mL/min dans le circuit de dialyse. Par conséquent, un débit inférieur à 300 mL/min témoigne d’un abord dysfonctionnel; dans les FAV et les pontages, un tel débit dénote généralement la présence d’une sténose sévère ou d’une occlusion thrombotique imminente de l’abord. La thrombose d’un abord permanent qui survient peu de temps après sa création résulte le plus souvent d’une erreur technique ou d’une utilisation prématurée, comme le soulignaient le Dr Besarab et Mme Brouwer dans leur publication antérieure. Ils notent par ailleurs que la méthode utilisée pour la surveillance du débit de l’abord dans le cas des FAV et des pontages AV permanents est moins importante que la détection en soi d’une sténose fonctionnelle avant la thrombose.

Les lignes directrices actuelles soulignent aussi l’importance de déceler non seulement la sténose en soi, mais aussi la présence d’indications cliniques ou diagnostiques qui perturbent la fonctionnalité de l’abord.

Voici les indications d’une consultation pour le diagnostic et le traitement :

• Une intervention ne doit pas être motivée par une seule valeur anormale. Quelle que soit la technique utilisée, l’analyse prospective des tendances du paramètre évalué est plus révélatrice pour déceler une dysfonction qu’une valeur isolée.

• En présence d’une anomalie persistante de n’importe lequel des paramètres du monitoring ou de la surveillance, on doit consulter sans délai pour une angiographie de l’abord.

• Débit de l’abord <600 à 800 mL/min dans les pontages et <400 à 500 mL/min dans les fistules.

• Ratio entre la pression statique du segment veineux et la pression artérielle moyenne >0,5 dans les pontages ou les fistules.

• Ratio entre la pression statique du segment artériel et la pression artérielle moyenne >0,75 dans les pontages.

• Ratio entre le débit sous dialyseur et le débit pré-dialyseur <1,2 dans les fistules et <1,6 dans les pontages lorsque des aiguilles de calibre 15 G sont utilisées.

Une fois la dysfonction décelée, un traitement rapide par angioplastie ou par chirurgie peut prévenir la formation d’une occlusion thrombotique, note le groupe. Cela dit, une lésion anatomique qui n’a aucun effet physiologique et qui ne progresse pas ne devrait pas être traitée. L’angiographie transluminale percutanée n’est pas inoffensive, et il faut toujours bien soupeser le risque d’événements imprévus.

Utilisation de thrombolytiques

Lorsque les premières lignes directrices de la K/DOQI ont été rédigées en 1997, il n’y avait pas suffisamment de données sur l’utilisation des thrombolytiques pour la désobstruction des cathéters pouvant servir de fondement à des recommandations concrètes. À cause du retrait par la FDA (Food and Drug Administration) de l’approbation de l’urokinase dans le traitement des occlusions thrombotiques des cathéters, il était aussi difficile pour le groupe de formuler des recommandations particulières quant à l’utilisation de thrombolytiques pour désobstruer les cathéters dans les lignes directrices de la K/DOQI de 2001.

Cela dit, maintenant que la FDA a approuvé une dose de 2 mg de l’activateur tissulaire du plasminogène (t-PA ou alteplase) pour la reperméabilisation des cathéters obstrués dans tous les groupes d’âge, les nouvelles lignes directrices comportent un algorithme pour aider les médecins à identifier et à traiter les occlusions thrombotiques dans les nouveaux cathéters. Face à un cathéter dysfonctionnel (défini selon un certain nombre de critères établis, dont un débit sanguin <300 mL/min), les lignes directrices recommandent une réévaluation et une recalibration des tubulures et du dialyseur. Si la radiographie ne révèle pas de mauvais positionnement ni de coudures du cathéter, le t-PA doit être administré. «Dans la grande majorité des cas, les fibrinolytiques réussissent à dissoudre le thrombus logé dans le cathéter, rapportent les auteurs, et ils permettent le traitement des occlusions […] à la clinique d’hémodialyse même, ce qui évite de perturber le traitement et limite les inconvénients pour le patient.»

Quatre études clés ont évalué l’efficacité du t-PA pour la désobstruction des cathéters dans un contexte d’hémodialyse. Les résultats de ces quatre études indiquent qu’entre 83 % et 98 % des cathéters obstrués sont recanalisés après l’administration du t-PA. «Le t-PA est hautement efficace pour désobstruer les lumières partiellement ou totalement obstruées», confirme le Dr Besarab. En revanche, la warfarine faiblement dosée n’est pas efficace dans ce contexte et n’est d’ailleurs pas recommandée, pas plus que le brossage endoluminal, sauf en milieu hospitalier stérile. Les nouvelles lignes directrices proposent différentes stratégies pour l’administration du t-PA, dont la perfusion dans le cathéter pendant le traitement par dialyse, une mise en contact dans le cathéter pendant un maximum de deux heures et la technique du verrou entre deux séances de dialyse.

Comme le fait remarquer le Dr Besarab, plusieurs études ont démontré qu’une FAV thrombosée peut être reperméabilisée si le traitement est administré dans les 72 heures suivant la détection du thrombus, «ce qui représente un changement de cap radical dans la prise en charge de ce problème», indique-t-il. La dysfonctionnalité d’un CVC peut tenir à une coudure ou à une mauvaise position du cathéter, et le repositionnement du cathéter peut éliminer l’obstruction. L’administration d’un thrombolytique – qu’il s’agisse d’un contact endoluminal avec l’agent lytique de une ou deux heures, d’un verrou entre deux séances de dialyse ou d’une perfusion dans le cathéter – peut aider à rétablir la fonctionnalité d’un cathéter, précisent les membres du groupe de travail.

Les nouvelles lignes directrices et les recommandations de pratique clinique proposent aussi de nouvelles options aux cliniciens. Ainsi, si le débit sanguin demeure inférieur à 300 mL/min après deux traitements consécutifs par le t-PA, on doit instiller un thrombolytique dans la lumière du cathéter pendant la dialyse et le laisser agir entre deux séances de dialyse (jusqu’à 68 ou 69 heures). En l’absence de reperméabilisation, un examen radiologique s’impose afin d’exclure la possibilité d’une gaine de fibrine. Le groupe de travail suggère de poursuivre la recherche afin de clarifier un grand nombre de variables inconnues au chapitre des abords vasculaires. Au nombre des suggestions du groupe pour la recherche : déterminer la meilleure façon d’administrer un agent lytique (mise en contact vs bolus vs perfusion); comparer différents agents lytiques sur les plans de l’efficacité, du coût et de la performance à long terme; et comparer un agent lytique avec l’héparine.

Ces stratégies doivent aussi être comparées à un simple changement de cathéter à l’aide d’un fil guide afin de préserver le site de l’abord vasculaire. «Le remplacement d’un abord vasculaire prend du temps, n’est pas pratique, est coûteux et expose le patient à un risque physique et à un stress psychologique indus», font valoir le Dr Besarab et Mme Brouwer. De plus, la perte d’un abord limite les options futures et, lorsque tous les sites sont épuisés, le patient fait face à un risque accru de mortalité à moins que la dialyse péritonéale ou une greffe ne soient possibles. «Le sauvetage d’un abord établi présente un meilleur rapport coût-efficacité que son remplacement et, en général, l’utilisation d’un fibrinolytique est beaucoup moins coûteuse que l’insertion d’un nouveau CVC», affirment-ils, ajoutant que des essais cliniques randomisés s’imposent pour clarifier ces points.

Infections en présence d’une insuffisance rénale terminale

Comme le soulignaient le Dr Besarab et Mme Brouwer dans leur publication antérieure, les infections viennent au deuxième rang des causes de mortalité chez les adultes souffrant d’IRT, «le plus souvent en raison de complications touchant les abords vasculaires». La septicémie est responsable de plus de 75 % de la mortalité par infection chez les patients hémodialysés, et le risque d’infection est maximal avec les CVC sans manchon; viennent ensuite les cathéters à manchon et les pontages AV. C’est la FAV qui comporte le risque d’infection le moins élevé, et c’est l’une des principales raisons pour lesquelles on continue de préconiser cette forme d’abord vasculaire.

Les nouvelles lignes directrices soulignent l’importance de bien informer les patients et le personnel sur les mesures de lutte contre l’infection afin de réduire au minimum le risque d’infection chez ces patients vulnérables. Au nombre de ces mesures figurent les techniques d’aseptisation de la peau, l’examen du site de sortie de l’abord vasculaire chez les patients porteurs d’un cathéter et le changement de pansement lors de chaque séance. «Seuls les membres du personnel ayant reçu la formation nécessaire doivent manipuler les CVC, préviennent les auteurs, et le port de gants et d’un masque est obligatoire pendant ces manipulations.» Si le patient développe une bactériémie liée au cathéter, une antibiothérapie doit être administrée par voie parentérale, poursuivent-ils. «La norme actuelle est le changement de cathéter, mais il faut investiguer un peu plus pour déterminer si cela est nécessaire dans tous les cas, note le Dr Besarab. L’important est de pouvoir changer le cathéter sans attendre le résultat négatif d’une hémoculture.»

Les infections des pontages AV doivent aussi être traitées par des antibiotiques, et la portion infectée du greffon doit être soit incisée, soit réséquée. Les FAV directes infectées sont rares, mais lorsqu’elles surviennent, elles nécessitent une antibiothérapie de six semaines. Seule une embolie septique justifie le retrait d’une FAV, comme le faisaient valoir les auteurs dans leur publication antérieure. Ils précisent par ailleurs qu’un thrombus obstruant la FAV est souvent le substrat d’une infection bactérienne. L’utilisation concomitante d’un fibrinolytique et d’un antibiotique pourrait améliorer la pénétration de l’antimicrobien et ainsi permettre de sauvegarder le CVC plutôt que de le remplacer (quoique les données à cet égard demeurent non concluantes).

Les nouvelles lignes directrices recommandent que tous les centres en mesure d’offrir l’implantation d’un abord permanent recrutent une équipe multidisciplinaire pour mettre une base de données sur pied et ainsi mieux surveiller leurs résultats.

Des directives particulières pour les enfants souffrant d’IRT ont été incorporées dans la mise à jour des lignes directrices. Le groupe de travail reconnaît que les chirurgiens vasculaires spécialisés dans les abords vasculaires chez l’enfant sont peu nombreux et qu’il faudra peut-être compter plutôt sur l’expertise des chirurgiens qui connaissent les techniques de confection d’un abord vasculaire chez l’adulte.

Questions et réponses

Les questions et les réponses qui suivent sont tirées d’un entretien avec le Dr Adeera Levin, directeur, Clinique d’insuffisance rénale, St. Paul’s Hospital, et professeur agrégé de clinique en médecine, University of British Columbia, Vancouver.

Q : Pour la première fois, le groupe a formulé des recommandations quant à l’utilisation des thrombolytiques pour le traitement des complications touchant les abords vasculaires. Pourquoi ces recommandations sont-elles particulièrement importantes?

R : Ce n’est pas la première fois que les lignes directrices abordent la question des agents thrombolytiques, mais la nouvelle version tient compte des agents maintenant homologués [c’est-à-dire, le t-PA], car les autres [c.-à-d., l’urokinase] ne sont plus utilisés.

Q : Pourquoi, à votre avis, était-il important de bien différencier les nouvelles lignes directrices et les recommandations de pratique clinique, comme c’est le cas dans la mise à jour des lignes directrices de la K/DOQI?

R : Les lignes directrices doivent être fondées sur des données factuelles et peuvent alors servir de paramètres ou de normes pour mesurer le rendement clinique. En revanche, les recommandations de pratique clinique sont des énoncés qui n’ont pas de fondement substantiel, mais qui ont pour objectif de guider le médecin face à une situation clinique complexe. On a différencié ces deux paliers afin d’encourager la recherche dans les zones grises.

Q : À votre avis, y a-t-il un message clé principal qui se dégage des nouvelles lignes directrices sur les abords vasculaires?

R : Le message clé à retenir est une démarche systématique pour l’évaluation et le suivi des abords vasculaires afin d’optimiser les résultats.

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