Comptes rendus

Regard pragmatique sur la maîtrise de l’asthme au moyen de corticostéroïdes pour inhalation
Atténuer les effets de l'inflammation secondaire à l'infection à VIH au sein d'une population vieillissante

Regard sur le traitement immunosuppresseur à dose uniquotidienne

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

FRONTIÈRES MÉDICALES - 23e Congrès international de la Transplantation Society

Vancouver, Colombie-Britannique / 15-19 août 2010

Comme le souligne le Pr Bernhard Krämer, V. Medizinische Klinik, Centre hospitalier universitaire de Mannheim, Allemagne, «le taux d’inobservance est élevé chez les transplantés, et de nombreuses études ont montré que la fréquence d’administration était importante». Le risque d’observance médiocre est en fait d’autant plus élevé que le nombre de doses est élevé, d’où l’importance de réduire la fréquence d’administration. Les progrès pharmacologiques qui peuvent améliorer l’observance en réduisant le nombre de doses, telle la nouvelle préparation orale de tacrolimus à une prise par jour, suscitent donc un grand intérêt chez les cliniciens et leurs patients. Cependant, pour éviter toute perte d’efficacité, on doit surveiller les concentrations sanguines lorsqu’on passe de la préparation de tacrolimus à libération immédiate à la préparation à libération prolongée.

Pharmacocinétique

Lors d’études pharmacocinétiques et cliniques où l’on comparait les préparations de tacrolimus à 1 et 2 prises par jour, on a constaté que les concentrations à l’état d’équilibre étaient équivalentes chez des transplantés stables (Am J Transplant 2009;9[11]:2505-13; Transplantation 2007;83:1648-51). Cependant, lors d’une étude rétrospective regroupant 59 transplantés rénaux qui étaient passés à la préparation à une prise par jour, les auteurs ont fait état d’une diminution des creux sanguins de =20 % chez 30 % des patients (Hougardy et al., résumé P13.31). Fait digne de mention, le polymorphisme du CYP3A5 (allèles *1 et *3) exerce un effet prononcé sur les paramètres pharmacocinétiques du tacrolimus, et les concentrations minimales sont plus faibles chez les porteurs homozygotes *3/*3. Dans une autre analyse rétrospective ayant mis en évidence une diminution de =20 % des concentrations minimales chez 38,8 % des 284 sujets, Varenterghem et al. ont constaté que la plupart des patients chez qui la diminution était significative étaient porteurs de l’allèle CYP3A5*3 (résumé MO10.11). Compte tenu du risque de rejet à défaut du maintien des concentrations thérapeutiques, ce résultat doit être examiné de près.

Le Dr Philip Burgwinkel, Charité Universitätsmedizin Berlin, Allemagne, a rapporté les résultats d’une étude visant à évaluer les effets du passage d’une posologie biquotidienne à une posologie uniquotidienne sur les paramètres pharmacocinétiques du tacrolimus chez des sujets homozygotes *3/*3 et des sujets hétérozygotes *1/*3. Parmi les 41 sujets étudiés, 27 étaient porteurs de l’allèle *3. Après le passage à la posologie uniquotidienne, le creux sanguin moyen est demeuré relativement stable chez les sujets hétérozygotes *1/*3, un seul cas (7,7 %) de diminution cliniquement significative (concentration inférieure à 4 ng/mL ou diminution de plus du tiers) ayant été signalé. Parmi les sujets homozygotes *3/*3, en revanche, une diminution cliniquement significative a été notée chez neuf patients (33 %), et les concentrations minimales étaient significativement plus faibles (-13,8 %; p=0,001). Globalement, la diminution des concentrations de tacrolimus était cliniquement significative chez 24 % des sujets.

En conclusion, explique le Dr Burgwinkel, la différence tient peut-être à l’absorption intestinale prédominante, mais le médecin doit être conscient du risque d’exposition à des concentrations plus faibles de tacrolimus lors du passage à la posologie uniquotidienne chez les patients dont les concentrations étaient déjà dans les limites inférieures de la normale ou chez les porteurs du génotype CYP3A5*3/*3.

Le Dr F. Tinti, Università degli Studi di Roma La Sapienza, Italie, a pour sa part tiré des conclusions différentes d’une étude comparative prospective. Au sein d’un groupe de 43 patients ayant reçu du tacrolimus 2 fois/jour pendant plus de 3 mois, 23 sont passés au tacrolimus 1 fois/jour alors que les 20 autres ont continué de recevoir deux doses par jour. Bien que les chercheurs aient aussi observé une baisse des concentrations minimales dans le groupe 1 fois/jour, souligne le Dr Tinti, les concentrations thérapeutiques se sont maintenues, et le débit de filtration glomérulaire s’est amélioré durant les 6 mois de l’essai. La glycémie et la triglycéridémie se sont aussi améliorées; de l’avis du Dr Tinti, ce phénomène pourrait tenir à la diminution des pics sanguins potentiellement délétères associés à la posologie biquotidienne du tacrolimus.

Dans le cadre d’une autre étude, le Dr Kazunari Yoshida, Université et Hôpital Kitasato, Sagamihara, Japon, a constaté que si les pics sanguins étaient généralement atteints en 1 à 2 heures, les concentrations sanguines mesurées de 7 à 21 jours après la transplantation étaient plus faibles chez les 12 patients sous tacrolimus 1 fois/jour que chez les 10 patients sous tacrolimus 2 fois/jour.

Ces résultats soulignent l’importance du monitoring thérapeutique après le début du traitement par le tacrolimus ou un changement de préparation; la transition nécessite une surveillance étroite, et on doit porter une attention particulière à l’expression clinique d’une variation des concentrations minimales.

Résultats cliniques à court et à long terme

Pour comprendre le profil d’efficacité et d’innocuité du tacrolimus à une prise par jour, tant en termes absolus qu’en comparaison avec la préparation à deux prises par jour, les chercheurs l’ont évalué à court terme chez 30 patients suivis pendant 1 an après leur transplantation rénale. Les résultats ont montré que la fonction rénale était satisfaisante à 12 mois et que la survie des patients et des greffons était alors de 100 %. Aucun effet indésirable grave n’est survenu durant l’essai; 44 % des patients ont développé une hyperuricémie au cours des 3 premiers mois, mais ce pourcentage avait chuté à 26 % après 6 mois et à 23,3 % après 12 mois. Une hyperkaliémie est survenue chez 36 % des patients au cours des 3 premiers mois, mais ce pourcentage avait chuté à 10 % après 6 mois et à 3 % après 12 mois. Les chercheurs ont noté que l’incidence plus élevée de ces effets indésirables au cours des 3 premiers mois suivant la transplantation était associée à des concentrations élevées de l’immunosuppresseur.

Lors d’une étude de phase III menée à double insu avec randomisation et double placebo (dont les résultats ont été dévoilés antérieurement), les chercheurs ont comparé la préparation 2 fois/jour de tacrolimus à la préparation 1 fois/jour chez 341 transplantés rénaux. La durée moyenne de la participation des patients à l’étude a été de 18 mois. Durant la phase de prolongation de 2 ans sous la direction de l’investigateur principal, le Pr Bernhard Krämer, 191 de ces patients ont reçu du tacrolimus 1 fois/jour et, parmi eux, 163 ont pu être suivis jusqu’à la fin (Figure 1). La majorité de ces patients recevaient un schéma à base de tacrolimus 1 fois/jour et de mycophénolate mofétil (MMF), avec ou sans corticostéroïdes. Les patients étaient âgés en moyenne de 46,9 ans (±12,1); 61,3 % étaient de sexe masculin et 82,2 % étaient caucasiens. Tous les patients sauf neuf en étaient à leur première transplantation. Près de 86 % des patients étaient positifs pour le virus Epstein-Barr et 72 %, pour le cytomégalovirus (CMV).

Figure 1. Plan de l’étude


La dose quotidienne moyenne de tacrolimus 1 fois/jour se chiffrait à 0,08 mg/kg durant les 12 premiers mois de suivi et à 0,07 mg/kg durant les 12 derniers mois. Les concentrations minimales sont passées de 7,8 à 6,9 ng/mL au cours de l’étude, pour ensuite revenir à 7,3 ng/mL (Figure 2).

Figure 2. Tacrolimus 1 fois/jour et concentrati
dans le sang entier

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La clairance de la créatinine est passée de 66,1 (±22,0) à 70,0 (±26,3) mL/min. On a signalé un décès (infarctus du myocarde non lié à l’étude) et quatre autres pertes de greffon. Après 2 ans, le taux de survie des greffons était de 97,4 % et le taux de survie des patients, de 99,3 %. Au terme de l’étude, aucun rejet aigu ni rejet aigu confirmé par biopsie n’avait été signalé chez 99,5 % des patients. De même, aucun cas de rejet aigu résistant aux corticostéroïdes n’a été rapporté. Les effets indésirables fréquents étaient l’hypertension (21,5 %) et les infections urinaires (17,3 %). Des effets indésirables graves liés au médicament ont été rapportés chez 15,7 % des patients. «Les effets indésirables [du tacrolimus à libération immédiate et du tacrolimus à libération prolongée] sont essentiellement les mêmes», fait remarquer le Pr Krämer. Les chercheurs ont conclu que le tacrolimus administré 1 fois/jour était bien toléré et efficace à long terme. «Je pense que ces données font état d’une situation comparable […] et que cette étude est rassurante pour le clinicien. Si le patient reçoit d’emblée la préparation à libération prolongée et que tout se passe bien, il n’y aura pas de surprises à craindre», poursuit le Pr Krämer.

Résultats à 5 ans chez divers types de transplantés

Le Pr Johannes P. van Hooff, Centre hospitalier universitaire de Maastricht, Pays-Bas, a réalisé une étude de phase III multicentrique, prospective et ouverte dans laquelle il a suivi pendant 5 ans un groupe unique de 240 patients qui avaient participé à l’un des quatre essais de phase II sur la pharmacocinétique du tacrolimus 1 fois/jour. Les patients passaient de la préparation 2 fois/jour à la préparation 1 fois/jour dans deux de ces essais, alors qu’ils recevaient la préparation 1 fois/jour dès le départ dans les deux autres essais. Les sujets étaient des transplantés cardiaques (n=79), hépatiques (n=47) ou rénaux (n=114). Au total, on a enregistré 56 abandons avant la fin de l’étude; 18 de ces abandons étaient dus aux effets indésirables, et le traitement par le tacrolimus a été incriminé dans 15 d’entre eux. Parmi les effets liés au tacrolimus, cinq étaient une anomalie/insuffisance/défaillance rénale. On a rapporté la perte du greffon chez 15 patients, et 14 sont décédés. Des rejets aigus sont survenus chez 15 patients : dans cinq cas, la résolution a été spontanée, alors que le rejet a répondu aux corticostéroïdes dans neuf cas et qu’il a résisté aux corticostéroïdes dans deux cas.

Les chercheurs ont fait état d’une diminution de la dose et des concentrations minimales de tacrolimus au cours des 5 années de l’essai. Chez les transplantés hépatiques, les concentrations minimales sont passées de 8,7 ng/mL au départ à 4,3 ng/mL. Lors des essais où le tacrolimus était administré 1 fois/jour dès le départ, la survie des patients était de 90,9 % chez les transplantés hépatiques et 100 % chez les transplantés rénaux. Lors des deux autres essais où les sujets passaient de la posologie biquotidienne à la posologie uniquotidienne, la survie des patients se chiffrait à 93,6 % chez les transplantés rénaux et à 90,3 % chez les transplantés cardiaques. La survie du greffon se chiffrait à 90,9 %, 100 %, 92,2 % et 90,3 % au sein de ces mêmes populations (Tableau 1). La fonction rénale est demeurée bonne dans tous les groupes de patients. Les effets indésirables étaient semblables, que le tacrolimus ait été administré 2 fois ou 1 fois par jour. Le Pr van Hooff a conclu que le tacrolimus administré 1 fois/jour avait été efficace et bien toléré dans les quatre études. De plus, l’innocuité et l’efficacité du tacrolimus administré 1 fois/jour étaient semblables à celles du tacro
s/jour.

Tableau 1. Efficacité : Résultats après 5 ans de suivi

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Résultats de l’étude CONCERTO

Le traitement par la cyclosporine est parfois source de difficultés en raison de son profil d’innocuité, notamment un risque élevé d’hypertension et d’hyperlipidémie ainsi qu’un risque d’effets indésirables sur le plan esthétique – telles l’hyperplasie gingivale et l’hypertrichose – qui augmentent le risque d’observance médiocre. Lors d’études antérieures, le tacrolimus administré 2 fois/jour s’est comparé avantageusement à la cyclosporine au chapitre de l’efficacité et de l’innocuité.

CONCERTO (Correlation of Neoral C2 Exposure and Renal Transplant Outcome) était une étude de phase IIIb multicentrique, internationale et ouverte d’une durée de 24 semaines dont l’objectif était d’explorer les effets du passage de la cyclosporine au tacrolimus 1 fois/jour chez des transplantés rénaux stables qui avaient des effets indésirables sous cyclosporine. Il s’était écoulé en moyenne 98 mois depuis la transplantation au sein de cette population, et l’ancienneté moyenne des effets indésirables était de 67 mois pour l’hyperlipidémie (n=49), de 87 mois pour l’hypertrichose (n=114), de 141 mois pour l’hypertension artérielle (n=92) et de 46 mois pour l’hyperplasie gingivale (n=84). Le paramètre principal de l’étude CONCERTO était la détérioration de la fonction rénale telle que mesurée par la clairance de la créatinine. Pour que la non-infériorité du tacrolimus 1 fois/jour puisse être établie, le protocole prévoyait que la clairance de la créatinine ne devait pas varier de plus de 10 % entre le début de l’étude et la 24e semaine.

Le Pr Lionel Rostaing, Service de néphrologie, Centre hospitalier universitaire de Toulouse, France, a démontré, à l’aide de données recueillies chez 301 patients évaluables, que la fonction rénale s’était bien maintenue et que la clairance de la créatinine n’avait pas varié de manière significative pendant l’étude (Figure 3). La non-infériorité du tacrolimus par rapport à la cyclosporine a donc été démontrée. De plus, les c
é aucun signe de rejet.

Figure 3. Variation de la clairance de la créatinine (formule de Cockcroft et Gault)*

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Le plus répandu des effets indésirables liés au traitement après le passage au tacrolimus était la diarrhée. Durant l’étude, on a rapporté peu d’abandons pour cause d’effets indésirables, et aucun décès ni perte de greffon n’ont été signalés. En outre, les chercheurs ont noté une diminution rapide et significative des effets indésirables de la cyclosporine. Chez les patients hyperlipidémiques (n=49), par exemple, on a enregistré une diminution du cholestérol total de 0,82 mmol/L et une diminution du C-LDL de 0,43 mmol/L, soit une diminution d’environ 12 %. Le taux de triglycérides a pour sa part baissé de 0,44 mmol/L. Dans le sous-groupe des patients hypertendus (n=92), la tension artérielle moyenne a baissé de 8,2 mmHg. Après 24 semaines, l’hyperplasie gingivale et l’hypertrichose s’étaient améliorées de façon marquée chez la plupart des patients, souligne le Pr Rostaing. «Chez les femmes en particulier, l’hirsutisme pourrait entraîner l’inobservance, de sorte qu’il vaut la peine de passer au tacrolimus en pareil cas. L’hyperplasie gingivale peut aussi entraîner l’inobservance dans une certaine mesure et, là encore, le changement de traitement peut valoir la peine», poursuit-il. Les chercheurs ont conclu que le passage de la cyclosporine au tacrolimus 1 fois/jour comme traitement immunosuppresseur d’entretien était sûr et bénéfique chez les transplantés rénaux, et qu’il pouvait réduire le risque cardiovasculaire chez les patients hypertendus ou hyperlipidémiques.

Résumé

Le passage à la préparation de tacrolimus à une prise par jour semble avoir deux grands avantages. D’abord, on favorise l’observance du traitement. Ensuite, on évite les pics sanguins élevés de tacrolimus, possiblement associés à une toxicité accrue. Les données à court et à long terme semblent toutes indiquer que le tacrolimus 1 fois/jour s’apparente au tacrolimus 2 fois/jour en termes d’efficacité et d’effets indésirables. Il ressort toutefois de certaines données que, du moins en début de traitement chez certains patients, il pourrait y avoir une chute cliniquement significative des concentrations minimales au moment du changement. Cette baisse pourrait en fait être bénéfique à en juger par certaines données, mais le monitoring thérapeutique et une interprétation éclairée des concentrations sanguines s’imposent après un changement de traitement. Il a été démontré que l’incidence et l’ampleur de la chute des concentrations minimales étaient plus marquées chez les porteurs homozygotes de l’allèle CYP3A5*3 que chez les sujets hétérozygotes, mais on a repéré d’autres facteurs de risque possibles. Enfin, le passage au tacrolimus 1 fois/jour permet chez de nombreux patients d’améliorer, voire d’éliminer, les effets indésirables métaboliques et esthétiques associés à la cyclosporine. Fait encore plus important, la fonction rénale ne s’est aucunement détériorée après le changement de traitement.

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