Comptes rendus

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Regard sur l’interaction entre l’activité antiplaquettaire des thiénopyridines et l’inhibition de la pompe à protons

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

PERSPECTIVE PROFESSIONNELLE Point de vue sur des allocutions présentées à la 58e Séance scientifique annuelle de l’American College of Cardiology

Orlando, Floride / 29-31 mars 2009

Compte rendu de :

Robert C. Welsh, MD, FRCPC, FACC

Cardiologue interventionniste, Directeur des cathétérismes cardiaques chez l’adulte, Codirecteur du programme des douleurs thoraciques, University of Alberta Hospital

Professeur agrégé de médecine, University of Alberta, Edmonton (Alberta)

Le clopidogrel est un puissant antiagrégant plaquettaire de la classe des thiénopyridines que l’on administre en association avec l’AAS pour réduire le risque d’événements cardiovasculaires (CV) dans diverses populations, entre autres les patients en proie à un syndrome coronarien aigu (SCA) ou les patients chez qui on a implanté un tuteur intracoronarien par voie percutanée1. Le clopidogrel, en tant que promédicament, est transformé dans le foie par le système du cytochrome P450 (CYP) en son métabolite actif, lequel bloque l’activation plaquettaire en se fixant au récepteur de l’adénosine diphosphate (ADP)2. La biotransformation du promédicament en son métabolite actif dépend principalement de l’isoenzyme CYP2C19. Vu l’importance de la CYP2C19, d’autres médicaments qui utilisent la même isoenzyme peuvent générer un risque considérable d’interactions médicamenteuses.

Les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) sont efficaces pour le traitement de troubles courants liés à l’acidité gastrique comme le reflux gastro-œsophagien3. Le risque d’interaction délétère avec le clopidogrel mérite une attention particulière non seulement parce que les IPP figurent parmi les médicaments les plus prescrits dans le monde entier, mais aussi parce qu’on les prescrit souvent précisément aux patients recevant un double traitement antiplaquettaire pour réduire le risque d’hémorragie gastrique4. Bien que la plupart des IPP soient en grande partie métabolisés dans le foie, la dépendance de chacun vis-à-vis des enzymes spécifiques du CYP est variable. Il est essentiel de bien comprendre le risque d’interaction, car une diminution de l’activité antiplaquettaire du clopidogrel pourrait accroître le risque d’événement thrombotique potentiellement mortel.

Les études expérimentales et cliniques lors desquelles on a évalué le risque d’interactions cliniquement importantes entre les IPP et le clopidogrel ont donné des résultats contradictoires. Les contradictions observées dans les résultats tiennent probablement à la dépendance variable des IPP vis-à-vis de l’isoenzyme CYP2C19. L’hypothèse veut qu’un IPP dépendant de la CYP2C19 pour son métabolisme – qui fait compétition au clopidogrel ayant lui aussi besoin de l’enzyme CYP2C19 pour son métabolisme – diminue l’effet antiplaquettaire du clopidogrel et que ce ne soit pas le cas pour les IPP dont le métabolisme repose sur d’autres enzymes du CYP. Plusieurs études publiées récemment et les données présentées au tout dernier congrès de l’American College of Cardiology semblent confirmer cette hypothèse.

ÉVALUATION DE PATIENTS

L’évaluation d’un millier de patients consécutifs a fourni une preuve fort concluante de l’effet variable de divers IPP sur l’effet antiplaquettaire du clopidogrel5. Les participants, qui étaient tous coronariens, avaient subi une intervention coronarienne percutanée (ICP) et recevaient tous un schéma antithrombotique (75 mg de clopidogrel et AAS). L’étude avait pour objectif de comparer la fonction plaquettaire chez les patients recevant un IPP concomitant et les patients n’en recevant pas. La population sous IPP a de plus été stratifiée par agent. La fonction plaquettaire – que l’on a mesurée au moyen de l’agrégométrie à électrodes multiples (MEA) après induction de l’agrégation par l’ADP – était exprimée par l’aire sous la courbe.

Parmi les 1000 patients évalués, 268 prenaient un IPP et 732 n’en prenaient pas. En raison des habitudes de pratique de l’établissement, l’oméprazole, l’esoméprazole et le pantoprazole étaient les seuls IPP représentés. Dans l’ensemble, l’agrégation plaquettaire était plus prononcée chez les patients sous IPP que chez les patients ne recevant pas d’IPP, mais la stratification des données en fonction de l’IPP administré a révélé que la différence se limitait à l’oméprazole, que l’on sait fortement dépendant de l’enzyme CYP2C19. Au sein de ce groupe, le score médian d’agrégation plaquettaire se chiffrait à 295,5 unités arbitraires (UA*min) vs 220,0 UA*min pour les patients ne prenant pas d’IPP (p=0,001). En revanche, l’agrégation plaquettaire était légèrement plus faible sous esoméprazole (209,0 UA*min; p=0,69) et légèrement plus marquée sous pantoprazole (226,0 UA*min; p=0,88), mais dans un cas comme dans l’autre, l’écart par rapport au groupe ne prenant pas d’IPP n’était pas significatif.

IMPORTANCE DE LA VOIE MÉTABOLIQUE

Ces résultats sont tout à fait logiques compte tenu de ce que l’on sait du profil pharmacologique de ces trois IPP et de la majeure partie des données actuelles sur le lien entre les IPP et les effets cliniques du clopidogrel. Le métabolisme hépatique de l’esoméprazole et du pantoprazole dépend beaucoup moins de l’isoenzyme CYP2C19 que celui de l’oméprazole, car d’autres isoenzymes, surtout la CYP3A4, interviennent. Il devrait donc en résulter une diminution du risque d’interactions importantes avec les agents CYP2C19-dépendants comme le clopidogrel6.

D’autres études sur la fonction plaquettaire avaient déjà associé l’oméprazole à un effet antiplaquettaire moindre du clopidogrel. Dans le cadre d’un essai à double insu avec placebo, 124 patients consécutifs à qui on posait un tuteur intracoronarien et qui recevaient 75 mg/jour de clopidogrel et 75 mg/jour d’AAS ont reçu aléatoirement 20 mg d’oméprazole ou un placebo7. Après sept jours, on a évalué la fonction plaquettaire en calculant l’index de réactivité plaquettaire (IRP) par la méthode dite de phosphorylation de la protéine VASP (vasodilator-stimulated phosphoprotein). Bien que la fonction plaquettaire ait été comparable au départ dans les deux groupes, elle est demeurée près de 30 % plus marquée (p<0,0001) chez les patients qui avaient reçu de l’oméprazole pendant sept jours, ce qui témoigne d’un effet moindre du double traitement antiplaquettaire.

Une étude subséquente reposant sur la même méthodologie pour la mesure de la fonction plaquettaire n’a pas permis d’établir que l’esoméprazole ou le pantoprazole exerçaient un effet similaire8. Dans cette étude, on a calculé l’IRP chez 300 patients qui avaient reçu du clopidogrel et de l’AAS après une ICP. Lorsque les chercheurs ont comparé les 226 patients sous esoméprazole ou pantoprazole aux 74 ne recevant pas d’IPP, ils n’ont observé aucune différence significative entre l’un et l’autre groupe quant à l’IRP ou à la fonction plaquettaire évaluée après induction de l’agrégation par l’ADP (autre test aussi réalisé).

Ces résultats pourraient jeter un éclairage important sur les données contradictoires qui se dégagent de l’analyse de l’interaction entre le clopidogrel et les IPP en tant que classe. Dans l’une des études les plus vastes, 8205 patients en proie à un SCA qui étaient sous clopidogrel à leur sortie de l’hôpital ont fait l’objet d’une évaluation rétrospective9. Le risque relatif approché (odds ratio [OR]) de décès ou de réhospitalisation dans le groupe IPP était 25 % plus élevé (OR de 1,25; IC à 95 % : 1,11-1,41) si l’on comparait les patients qui prenaient à la fois du clopidogrel et un IPP au moment de leur congé (63,9 %) et ceux qui ne prenaient pas d’IPP (36,1 %). Plusieurs paramètres secondaires, comme le risque d’une intervention de revascularisation, ont aussi associé un IPP concomitant à un risque accru.

Inversement, une étude prospective portant sur 535 patients ayant subi une ICP qui étaient inscrits dans la base de données du NHLBI (National Heart, Lung, and Blood Institute Dynamic Registry, University of Pittsburgh) n’a objectivé aucune différence quant aux événements majeurs entre les 138 patients (26 %) recevant un IPP concomitant et les 397 patients (74 %) n’en recevant pas10. Pour un grand nombre de paramètres, dont l’infarctus du myocarde (IM) (3,7 % vs 4,2 %; p=0,83), le pontage coronarien (3,1 % vs 4,1 %; p=0,53), le décès (3,0 % vs 5,9 %; p=0,18) et le paramètre mixte décès et IM (6,7 % vs 9,6 %), le taux d’événements était en fait plus faible dans le groupe IPP, mais l’écart par rapport à l’autre groupe n’était pas significatif.

Vu l’importance variable du risque d’interactions médicamenteuses associé aux IPP, la représentation proportionnelle de chacun dans ces études pourrait expliquer les contradictions apparentes. On ne peut pas supposer un effet de classe, la stratification des données par IPP étant essentielle pour que l’on puisse évaluer le risque avec certitude.

PAS UNE QUESTION DE CLASSE

Une étude cas-témoins nichée réalisée au Canada illustre l’importance éventuelle de la stratification des IPP11. Dans une base de données de 13 636 patients de plus de 66 ans à qui on avait prescrit du clopidogrel sur une période de cinq ans, on a repéré 734 cas de réhospitalisation pour un IM aigu dans un délai de 90 jours suivant le congé. La comparaison du groupe IPP et du groupe sans IPP a révélé que le risque de réhospitalisation était 27 % plus élevé chez les patients sous IPP (OR de 1,27; IC à 95 % : 1,03-1,57). Cependant, la comparaison des patients sous pantoprazole, IPP reconnu pour son faible risque d’interaction avec le clopidogrel, et des patients ne recevant pas d’IPP n’a objectivé aucun écart significatif (OR de 1,02; IC à 95 % : 0,70-1,47). Inversement, si le pantoprazole était exclu, le risque relatif d’IM récidivant sous IPP était encore plus élevé par rapport aux IPP en tant que classe (OR de 1,40; IC à 95 % : 1,10-1,77).

Après une analyse plus détaillée de ces données, les auteurs ont estimé que si tous les patients sous clopidogrel avaient reçu un IPP largement métabolisé par l’isoenzyme CYP2C19, 14 % des réhospitalisations survenues au cours des 90 premiers jours auraient été imputables à une interaction entre l’IPP et le clopidogrel. Ces données ne font ressortir aucune augmentation du risque pour un IPP dont le métabolisme ne dépendrait pas de cette voie.

RAPPORT RISQUE: BÉNÉFICE DE DEUX IMPORTANTES STRATÉGIES DE TRAITEMENT DISTINCTES

La stratégie consistant à éviter tout IPP chez un patient ayant besoin d’un traitement antiplaquettaire n’est peut-être pas viable. Outre le fait qu’un nombre substantiel de patients aux prises avec une maladie liée à l’acidité gastrique ont besoin d’un IPP pour continuer de jouir d’une qualité de vie acceptable, les IPP offrent une protection appréciable contre les hémorragies digestives à risque mortel. À une dose de seulement 75 mg/jour, l’AAS peut doubler le risque d’hémorragie digestive, et la prévalence de cette complication augmente avec l’âge12. Le clopidogrel peut être offert sans l’AAS aux patients exposés à un risque très élevé d’hémorragie digestive, mais le prix à payer est une protection moindre contre les événements CV. Cela dit, le clopidogrel n’est pas non plus dénué d’un risque d’hémorragie digestive. Lors d’une étude qui comparait la stratégie AAS plus esoméprazole au clopidogrel seul chez des patients ayant des antécédents d’hémorragie ulcéreuse sous AAS, le risque cumulatif d’hémorragie récidivante sur un an était de 8,6 % dans le groupe clopidogrel seul vs 0,7 % (p=0,001) dans le groupe AAS plus esoméprazole.13

Il est peu probable que l’on réalise des études prospectives avec randomisation pour comparer les IPP quant au risque relatif d’interaction avec le clopidogrel. La majeure partie des données tirées d’études de population et des données tirées d’études sur l’activité plaquettaire donnent toutefois à penser que l’interaction avec le clopidogrel n’est pas un effet de classe. Il est ressorti assez systématiquement d’une série d’études que les agents ne dépendant pas de l’isoenzyme CYP2C19 pour leur métabolisme ne semblent pas exposer le patient à un risque d’interaction. L’esoméprazole et le pantoprazole semblent avoir cette innocuité relative en commun. L’oméprazole est l’IPP que l’on a associé le plus étroitement à l’augmentation du risque relatif. Chez les patients qui pourraient bénéficier du traitement par un IPP soit pour la maîtrise d’une maladie du haut appareil digestif, soit à des fins de gastroprotection contre l’hémorragie, le choix d’un IPP doit être pris en compte dans la prise en charge du risque individuel.

RÉSUMÉ

La crainte d’une inhibition des effets antiplaquettaires du clopidogrel résultant d’une interaction avec un IPP découlait de données contradictoires provenant en grande partie d’études rétrospectives qui avaient associé l’exposition à un IPP pendant un traitement par le clopidogrel à un risque accru d’événement CV. Les résultats contradictoires s’expliquent probablement par un risque variable au sein de la classe des IPP. Les données à notre disposition semblent indiquer que le risque d’interaction pourrait se limiter exclusivement aux IPP qui dépendent de l’enzyme CYP2C19 pour leur métabolisme hépatique, cette voie étant importante pour l’activation du clopidogrel. Les IPP dont le métabolisme dépend aussi d’autres isoenzymes, comme l’esoméprazole et le pantoprazole, pourraient ne pas exposer le patient à un risque important d’interaction. Quel que soit l’IPP considéré, le risque relatif d’une inhibition suffisamment marquée des effets antiplaquettaires du clopidogrel pour accroître le risque d’événement CV n’a pas été évalué en bonne et due forme dans le cadre d’une étude prospective rigoureuse, mais les données actuelles semblent indiquer que ces agents ne sont pas interchangeables chez les personnes ayant besoin d’un traitement antithrombotique comportant du clopidogrel.

Références

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2. Savi et al. Importance of hepatic metabolism in the anti-aggregating activity of the thienopyridine clopidogrel. Biochem Pharmacol 1992;44:527-32.

3. Richardson P, Hawkey C, Stack W. Proton pump inhibitors—pharmacology and rationale for use in gastrointestinal disorders. Drugs 1998;56:307-35.

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9. Ho et al. Risk of adverse outcomes associated with concomitant use of clopidogrel and proton pup inhibitors following acute coronary syndrome. JAMA 2009;301:937-44.

10. Ramirez et al. Proton pump inhibitor and clopidogrel combination is not associated with adverse clinical outcomes after PCI: the NHLBI Dynamic Registry. J Am Coll Cardiol 2009;53(suppl A):A27, Abstract 2903-7.

11. Juurlink et al. A population-based study of the drug interaction between proton pump inhibitors and clopidogrel. CMAJ 2009;180 [Epub January 28, 2009].

12. Weil et al. Prophylactic aspirin and risk of peptic ulcer bleeding. Br Med J 1995;310:827-30.

13. Chan et al. Clopidogrel versus aspirin and esomeprazole to prevent recurrent ulcer bleeding. N Engl J Med 2005;352(3):238-44.

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