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RGO chez le sujet âgé : le point sur la prise en charge du risque

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

Point de vue sur un article publié dans Gastroenterology 2004;126:660-4.

July 2008

Compte rendu :

Gilbert Doummar, MD, FRCPC

Chef, Service de gastro-entérologie Centre hospitalier Pierre-Boucher, Longueuil (Québec)

Le reflux gastro-oesophagien (RGO) est le retour fréquent et répété du contenu de l’estomac dans l’oesophage. Bien que le pyrosis en soit le principal symptôme, le RGO peut occasionner une vaste gamme de manifestations, notamment la régurgitation acide, la dyspepsie, les nausées et une gêne abdominale diffuse. Si l’on définit le RGO comme la survenue d’au moins un épisode incommodant par semaine, environ 20 % des adultes en seraient atteints. Dans la population âgée, l’incidence du RGO est comparable, mais le risque d’oesophagite est plus grand. Ainsi, l’endoscopie révèle une oesophagite érosive manifeste chez à peu près la moitié seulement des personnes de moins de 60 ans se plaignant de symptômes de RGO; passé 60 ans, cette proportion peut atteindre 80 %.

Malgré une probabilité d’oesophagite plus grande chez les personnes âgées, certaines études font état d’une incidence moindre du RGO. Cette constatation va de pair avec des études sur la sensibilité viscérale. En effet, une étude avec distension progressive de l’oesophage par ballon a montré que le seuil de tolérance à la douleur augmentait avec l’âge. D’ailleurs, la diminution des symptômes physiques dans la population âgée ne vise pas uniquement le tube digestif. Par exemple, l’infarctus du myocarde déclenche une douleur thoracique moins vive et l’ischémie myocardique silencieuse est plus fréquente chez les personnes âgées.

Dans le RGO, la probabilité accrue d’un allégement, voire d’une disparition, des symptômes s’étend à l’oesophage de Barrett, état précancéreux caractérisé par une métaplasie oesophagienne. Non seulement les personnes âgées aux prises avec ce problème présentent-elles moins de symptômes que leurs semblables plus jeunes, mais on signale que près du tiers des sujets âgés chez qui le problème dégénère en adénocarcinome ont des symptômes minimes, voire inexistants, au moment du diagnostic. Cette absence de corrélation doit nous interpeller, car le risque d’oesophage de Barrett et d’adénocarcinome oesophagien augmente avec l’âge.

Les données groupées de cinq essais cliniques ayant réuni 11 945 participants de plus de 18 ans ont mis en lumière une corrélation négative entre l’âge et la présence de symptômes, mais une forte corrélation positive entre l’âge et l’oesophagite sévère. Ce n’est là qu’un aperçu des observations étayant la nécessité d’une recherche et d’un traitement plus intensifs du RGO dans la population âgée, indépendamment de la sévérité des symptômes.

Évaluation du patient

Vu le lien imprévisible entre les symptômes et l’oesophagite, on a mis à jour les recommandations consensuelles canadiennes sur le traitement du RGO, levant la restriction relative à l’âge quant au recours à l’endoscopie en l’absence de symptômes inquiétants, par exemple une perte de poids inexpliquée. Ainsi, on recommandait autrefois la réalisation d’une endoscopie unique passé 50 ans. Aujourd’hui, on conseille de procéder à un dépistage de l’oesophage de Barrett chez tout patient aux prises avec des symptômes de RGO depuis 10 ans ou plus. Si le diagnostic de RGO est récent et que le sujet est âgé, on devrait envisager l’endoscopie assez rapidement à cause du risque accru d’oesophagite érosive et d’apparition d’un oesophage de Barrett. Quoi qu’il en soit, ce ne sont pas les symptômes qui doivent déterminer la nécessité d’une endoscopie.

L’examen endoscopique n’est pas urgent chez le patient âgé ayant déjà reçu un diagnostic de RGO et répondant bien à une reprise du traitement par un inhibiteur de la pompe à protons (IPP). Chez le patient dont les symptômes sont récents, il est raisonnable d’amorcer le traitement par un IPP avant l’endoscopie, mais celle-ci devra être réalisée par la suite. On pourrait, à titre d’exemple, l’effectuer quatre semaines après la mise en route du traitement. L’oesophagite légère ou modérée, soit de grade A (lésions muqueuses inférieures ou égales à 5 mm) ou B (lésions muqueuses de plus de 5 mm, mais sans confluence entre le sommet de deux plis) selon la classification de Los Angeles (LA), se sera peut-être cicatrisée pendant cette période, mais l’endoscopie autorisera le dépistage d’autres maladies, notamment les ulcères gastriques. Les oesophagites de grade C selon la classification de LA (érosion continue de la muqueuse sur au moins deux plis) ou D (érosions sur plus de 75 % de la surface de la muqueuse) sont peu susceptibles d’être entièrement cicatrisées après quatre semaines, mais l’exploration endoscopique fournira des données de départ pour l’évaluation ultérieure de la sévérité et confirmera que la cicatrisation est en cours.

Cela dit, la principale utilité de l’endoscopie après quatre semaines chez le patient âgé est la suivante : elle permet le dépistage de l’oesophage de Barrett, dont l’incidence atteint un sommet autour de 70 ans. La présence de l’oesophage de Barrett a des répercussions thérapeutiques importantes, en particulier parce qu’elle établit la nécessité d’une surveillance régulière pour le dépistage d’un cancer.

Les modalités d’évaluation et de traitement du RGO chez le sujet âgé ne sont pas équivoques devant le symptôme classique, à savoir le pyrosis. Les choses peuvent cependant se corser en présence de symptômes atypiques, plus fréquents chez les personnes âgées, qui n’évoquent pas nettement un problème du bas oesophage, tels que la perte d’appétit, les nausées ou la dyspepsie. Le cas échéant, l’exécution d’une endoscopie avant le début du traitement par un IPP peut être indiquée, histoire de déterminer clairement l’origine des symptômes. Cependant, lorsque ceux-ci minent la qualité de vie, on ne doit pas retarder le traitement par l’IPP, au risque de faire cicatriser des lésions avant l’établissement d’un diagnostic formel. Si l’IPP soulage les symptômes et que l’endoscopie ne révèle aucune lésion, on pourra raisonnablement conclure à un problème lié à l’acidité gastrique.

Traitement du RGO chez le sujet âgé

Selon les auteurs des recommandations consensuelles canadiennes les plus récentes, la modification des habitudes de vie ne peut, à elle seule, conduire à la maîtrise du RGO fréquent ou sévère, même en l’absence d’oesophagite. S’ils procurent souvent un soulagement efficace, les antiacides n’agissent toutefois que temporairement et ne cicatrisent pas les lésions. Les antagonistes des récepteurs H2 (anti-H2) soulagent les symptômes du RGO mieux que les antiacides, mais la tachyphylaxie limite leur efficacité à long terme. Et, fait encore plus important pour les personnes atteintes d’oesophagite, ces agents sont relativement inefficaces pour la cicatrisation. En effet, bien que les anti-H2 aient donné lieu à des taux de cicatrisation de 45 % après 12 semaines dans certains essais cliniques, leur efficacité est inversement proportionnelle à la sévérité de l’oesophagite, et ce, même dans le cadre d’un traitement prolongé.

À l’heure actuelle, les IPP sont les agents les plus efficaces contre le RGO. Il existe une corrélation directe entre l’efficacité supérieure des IPP par rapport aux anti-H2 et la suppression plus marquée de l’acidité gastrique. Les différences entre les IPP font d’ailleurs ressortir ce lien. Bien que tous les IPP maîtrisent très efficacement les symptômes du RGO, en particulier par rapport aux anti-H2, ils se distinguent quant à leur capacité d’inhiber l’acidité gastrique et de cicatriser l’oesophagite. De tous les IPP actuellement sur le marché, l’esoméprazole, isomère S de l’oméprazole (premier IPP homologué), fait montre systématiquement d’une efficacité supérieure pour l’inhibition de l’acidité lorsque les IPP sont comparés, à leur dose habituelle, en fonction de la durée du maintien d’un pH >4 sur une période de 24 heures. Une maîtrise plus serrée de l’acidité gastrique sur 24 heures laisse entrevoir une cicatrisation plus efficace de l’oesophagite, comme l’ont démontré des études dans lesquelles l’esoméprazole était comparé à l’oméprazole, sa molécule mère, ainsi qu’au lansoprazole et au pantoprazole.

Dans la comparaison esoméprazole-lansoprazole, 5241 patients atteints d’une oesophagite érosive attestée ont reçu, après randomisation, de l’esoméprazole à 40 mg ou du lansoprazole à 30 mg. Au terme des huit semaines de traitement, les lésions s’étaient cicatrisées chez 92,6 % des sujets du groupe esoméprazole contre 88,8 % des sujets du groupe lansoprazole (p=0,0001) selon l’analyse en intention de traiter. Les deux agents ont été bien tolérés.

EXPO (The Efficacy of Healing and Maintenance Treatment with Esomeprazole and Pantoprazole in Subjects with Reflux Esophagitis), étude comparative esoméprazole-pantoprazole avec randomisation, a conduit à des résultats comparables. En effet, après huit semaines, la cicatrisation a été constatée chez 96 % des patients sous esoméprazole à 40 mg contre 92 % des patients sous pantoprazole à 40 mg (p<0,001).

Des analyses subséquentes des résultats de l’étude EXPO ont révélé que plus l’oesophagite était sévère, plus l’écart entre les taux de cicatrisation était grand. Ainsi, l’avantage de l’esoméprazole sur le pantoprazole n’était pas significatif dans l’oesophagite de grade A selon la classification de LA, mais le bénéfice s’accentuait à chaque grade, mettant en relief l’importance du lien qui unit le degré d’inhibition de l’acidité gastrique et la probabilité de cicatrisation des lésions graves. Ce sont là des données particulièrement pertinentes pour les personnes âgées, plus susceptibles de souffrir d’une oesophagite sévère.

On a observé des différences semblables à l’égard du maintien de la cicatrisation parallèlement à la suppression de l’acidité gastrique. Les IPP sont plus efficaces que les anti-H2 pour la prévention des rechutes, mais on a aussi constaté, lors d’essais cliniques rigoureux, que l’IPP qui maîtrisait le mieux l’acidité gastrique sur 24 heures était également celui qui offrait la meilleure protection contre la rechute. Par exemple, lors d’une prolongation de l’étude EXPO qui comptait 2766 patients dont les lésions avaient cicatrisé grâce au traitement, 87 % des sujets sous esoméprazole à 20 mg contre 74,9 % des sujets sous pantoprazole à 20 mg (p<0,0001) étaient toujours en rémission symptomatique après six mois (Figure 1). En outre, les abandons pour cause de réapparition des symptômes ont été moins nombreux dans ce groupe. L’esoméprazole a eu sur le lansoprazole un avantage similaire pour ce qui est du maintien de la cicatrisation.

Figure 1. Rémission endoscopique et symptomatique après un traitement d’entretien de six mois


Stratégies d’entretien

Le RGO étant chronique dans environ 80 % des cas, la plupart des patients doivent se soumettre à un traitement d’entretien au long cours. Bien que l’on juge acceptable de traiter le patient plus jeune au besoin seulement, cette façon de faire pourrait ne pas convenir dans la population âgée, dont les symptômes ne reflètent pas forcément la réapparition du reflux et du risque inhérent d’oesophagite. Par ailleurs, dans certains pays, on préconise un traitement d’entretien par une demi-dose, arguant que la légère diminution de l’efficacité est justifiée par un traitement plus efficient. Cet argument ne tient pas au Canada, où la demi-dose se vend au même prix que la dose complète. Enfin, chez le sujet âgé, cette stratégie est d’autant moins intéressante qu’une suppression plus intense de l’acidité gastrique s’imposera éventuellement vu le risque accru d’oesophagite sévère.

La présence ou l’absence de Helicobacter pylori est sans intérêt dans le RGO. Il n’y a donc pas lieu de procéder au dépistage de cette infection en particulier. Par contre, une biopsie de la muqueuse gastrique dans le cadre d’une endoscopie est raisonnable pour vérifier la présence d’une gastrite. Bien que l’éradication de H. pylori puisse, en théorie, diminuer le risque à vie de carcinome gastrique, ce présumé bénéfice serait normalement amoindri chez le sujet âgé, puisque la durée de vie pendant laquelle pourrait s’opérer une évolution vers la malignité est écourtée.

Le RGO du sujet âgé peut fort bien être traité en médecine de premier recours. Si le patient signale spontanément la présence de symptômes digestifs hauts, on doit bien sûr procéder à des examens plus poussés. Cependant, on doit s’enquérir de la fonction GI lors d’un examen physique complet. Les questions sur l’alimentation, l’existence d’une gêne digestive ou la présence de sang dans les selles sont toutes susceptibles d’éveiller le médecin à un éventuel trouble GI. Chez le patient âgé, le médecin devra envisager la possibilité d’un RGO devant des symptômes non spécifiques, tels qu’une perte d’appétit ou de légères nausées, malgré l’absence de pyrosis. À l’image des IPP qui soulagent rapidement le pyrosis, un traitement efficace vient, d’ordinaire, rapidement à bout des symptômes atypiques du RGO.

Résumé

Dans la population âgée, les modalités de diagnostic et de prise en charge du RGO requièrent quelques adaptations. Le RGO n’est pas plus fréquent dans cette population, mais il provoque généralement moins de symptômes tout en comportant un risque plus élevé d’oesophagite sévère. Au surplus, les personnes âgées sont exposées à un risque plus grand d’oesophage de Barrett et d’adénocarcinome oesophagien. Aussi devra-t-on réaliser l’endoscopie assez tôt chez ces patients afin d’exclure toute pathologie grave. De plus, un traitement plus intensif pourrait s’imposer dans cette population, tant pour la cicatrisation de l’oesophagite que pour la prévention des rechutes. Les différences entre les divers traitements quant à leur capacité d’inhiber l’acidité gastrique, y compris au sein même de la classe des IPP, pourraient avoir des répercussions plus marquées dans la population âgée, exposée à un risque accru d’oesophagite sévère.

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