Comptes rendus

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Régulation de la phosphatémie dans l’insuffisance rénale chronique

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

Séances cliniques du printemps 2008 de la National Kidney Foundation

Dallas, Texas / 2-6 avril 2008

Chez le sujet sain, le phosphore demeure en parfaite homéostasie, étant donné que la charge de phosphore alimentaire ou endogène est toujours contrebalancée par les phénomènes physiologiques de métabolisme, d’absorption et d’excrétion. Chez le sujet atteint d’insuffisance rénale chronique (IRC), cet équilibre est souvent rompu, indique le Dr Stuart M. Sprague, professeur titulaire de médecine, Northwestern University, Chicago, Illinois. La capacité de métabolisme de l’organisme décline à mesure que la maladie progresse, ce qui se traduit par une élévation de la phosphatémie.

«Cet excès de phosphore doit se retrouver quelque part et est souvent absorbé dans les tissus mous, y compris ceux du système cardiovasculaire, explique-t-il. L’absorption du phosphore dans les tissus cardiovasculaires augmente le taux de calcium intracellulaire et peut aboutir à des calcifications vasculaires.»

L’élévation de la phosphatémie, même si elle demeure dans les limites de la normale, a des répercussions sur le risque d’événement clinique, poursuit le Dr Sprague. Par exemple, il est ressorti d’une analyse de l’association entre l’incidence des événements cliniques et la phosphatémie chez des patients atteints de la maladie coronarienne que la mortalité et le risque d’infarctus du myocarde (IM) et d’insuffisance cardiaque avaient augmenté parallèlement au degré de phosphatémie (Tonelli et al. Circulation 2005;112:2627-33).

Devant l’évidence plus nette du caractère nocif de l’élévation de la phosphatémie, l’attention s’est portée sur la recherche de stratégies pour la réduire. Le principe de la restriction de l’apport alimentaire est largement admis, mais les avis divergent sur son rôle précis.

Restriction de l’apport alimentaire

Dans ses lignes directrices pour la régulation du taux de parathormone (PTH) chez les patients en IRC, la National Kidney Foundation recommande de restreindre l’apport alimentaire en phosphore dès que la phosphatémie est élevée dans les IRC de stade 3 et 4 (Am J Kidney Dis 2003;42 [4 suppl 3]:S1-S201) (Tableau 1). L’hyperphosphatémie est couramment définie comme un taux sérique >4,6 mg/dL, note le Dr Daniel Coyne, professeur titulaire, département de médecine interne, Washington University, St. Louis, Missouri.

Replaçant ces données et recommandations dans leur contexte, le Dr Coyne reconnaît que de multiples études ont établi un lien entre l’élévation de la phosphatémie et l’accroissement du risque de morbimortalité. De là à conclure à un lien de causalité, les scientifiques estiment toutefois que la preuve reste à faire.

Tableau 1. Restriction de l’apport alimentaire en phosphore pour maîtriser le taux de PTH au cours de l’IRC


«Un lien n’implique pas nécessairement une relation de cause à effet, prévient le Dr Coyne. Le fait que les personnes qui vivent plus longtemps ont un taux de phosphates plus faible ne signifie pas que nous puissions accroître la longévité en réduisant la phosphatémie.»

C’est apparemment l’un des points qui se dégagent de l’étude MDRD (Modification of Diet in Renal Disease) réalisée au cours des années 90. Ses résultats ont indiqué que la réduction de l’apport alimentaire n’avait pas stoppé la progression de l’IRC (Kopple et al. Kidney Int 1997;52:778-91). Cela dit, cette étude présentait un certain nombre de faiblesses, de souligner le Dr Coyne, en particulier, sa courte durée, l’absence d’un groupe témoin, l’inclusion d’une population hétérogène qui comprenait des patients n’observant pas le traitement et des patients dont l’IRC n’était pas en progression, et l’utilisation non définie d’inhibiteurs de l’ECA. Des analyses de l’étude MDRD effectuées avec plus de recul ont toutefois mis au jour une tendance à la baisse du risque de progression de la maladie chez les patients qui présentaient une IRC modérée à leur admission (Levey et al. Am J Kidney Dis 2006;48:879-88).

Bien que les mesures diététiques affichent une efficacité relative en présence d’IRC et d’hyperphosphatémie, il appert que les chélateurs ne procurent pas, eux non plus, des résultats constamment favorables, poursuit le Dr Coyne. À titre d’exemple, une étude récente avec placebo sur l’utilisation de suppléments calciques chez des femmes ménopausées en bonne santé a mis en évidence un doublement du risque d’IM dans le groupe ayant reçu du calcium. Aux chapitres de l’incidence des AVC et du paramètre regroupant les IM, les AVC et la mort subite, on a observé une tendance à la hausse du risque associé à la prise de suppléments de calcium (Bolling et al. BMJ 2008; 336:262-6).

Résumant le corpus actuel de données, le Dr Coyne souligne que la restriction de l’apport alimentaire est une réponse adéquate pour parer à de nombreux désordres métaboliques chez les patients atteints d’IRC et doit demeurer un élément fondamental d’une prise en charge globale de l’IRC. La limitation de l’apport protéique à 0,8-1,0 g/kg/jour peut ralentir la progression de l’insuffisance rénale et a l’avantage d’être sûre.

Par ailleurs, il fait la mise en garde suivante : «les chélateurs de phosphate classiques n’ont pas fait la preuve qu’ils sont sûrs ou qu’ils ralentissent la progression de l’IRC, et l’utilisation de chélateurs de phosphate pourrait leurrer les patients et les médecins en les amenant à sous-estimer le rôle de la restriction alimentaire.»

Répondant aux commentaires du Dr Coyne, le Dr Kamyar Kalantar-Zadeh, professeur agrégé de médecine clinique, Harbor-UCLA Medical Center, Torrance, Californie, a ramené l’attention sur les données indiquant qu’une élévation de la phosphatémie est associée à une majoration du risque de mortalité (Kalantar-Zadeh et al. Kidney Int 2006;70:771-80) (Figure 1).

Figure 1. Risque de mortalité en fonction de la v
de la phosphatémie

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«La réduction de la phosphatémie est un objectif important dans la prise en charge de l’ostéodystrophie rénale au cours de l’IRC, indique-t-il. Les deux principales stratégies de réduction de la phosphatémie sont l’administration de chélateurs de phosphate et l’observance d’un régime restreint en phosphore. Les régimes pauvres en phosphore sont habituellement associés à un faible apport protéique, ce qui peut influer défavorablement sur le pronostic.»

De plus, ajoute-t-il, il est difficile de déterminer l’apport de phosphore alimentaire en raison de la proportion croissante de phosphates de source inorganique. Par ailleurs, la notion selon laquelle l’apport protéique détermine la phosphatémie est dépassée, selon le Dr Kalantar-Zadeh. À l’appui de ses dires, il cite les résultats d’une étude explorant les associations entre l’apport alimentaire en protéines et la survie de patients hémodialysés (Shinaberger et al. Am J Kidney Dis 2006;48:37-49). Utilisant le taux de catabolisme protéique normalisé (ou nPNA, pour normalized protein nitrogen appearance) comme reflet de l’apport protéique, les investigateurs ont constaté que les meilleurs résultats de survie étaient associés à une augmentation du nPNA couplée à une baisse de la phosphatémie. Les pires résultats de survie ont été observés chez les patients qui avaient un apport protéique quotidien faible (d’après le nPNA) ou ayant diminué au fil du temps et qui présentaient également une diminution de la phosphatémie.

Une troisième option

Le débat sur les stratégies de réduction de la phosphatémie englobe une troisième option qui compense certaines des limites associées aux mesures diététiques et aux chélateurs de phosphate classiques. Le carbonate de lanthanum est une non-résine qui ne contient pas de calcium; il s’est montré efficace pour réduire la phosphatémie chez des patients présentant une IRC de stade 5 et dépendants de la dialyse (Hutchison et al. Nephron Clin Pract 2006;102:61-71).

Des signes de calcifications vasculaires sont souvent observés précocement au cours de l’IRC, ce qui laisse à penser que les patients souffrant d’une insuffisance de stade 3 et 4 pourraient bénéficier d’un traitement par chélateurs de phosphate. Le Dr Sprague et ses collègues ont fait état des résultats de l’étude SPD405-206, un essai clinique multicentrique avec randomisation et placebo dont l’objet était d’évaluer l’efficacité et l’innocuité du carbonate de lanthanum chez des patients atteints d’IRC de stade 3 et 4 (Figure 2).

Fig
6 : Variation de la phosphatémie par rapport aux valeurs initiales

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L’étude regroupait 121 patients qui avaient un débit de filtration glomérulaire estimatif se situant entre 15 et 59 mL/min/1,732 et une phosphatémie >4,6 mg/dL. Après randomisation dans un groupe carbonate de lanthanum ou un groupe placebo selon un ratio de 2:1, les patients ont reçu 750 mg/jour du chélateur – administré à raison d’un comprimé trois fois par jour pendant ou immédiatement après un repas – ou le placebo pendant deux semaines. La dose initiale a été portée à un maximum de 3000 mg/jour au cours de la troisième et de la quatrième semaine de façon à atteindre une valeur cible de la phosphatémie <4,0 mg/dL. L’administration de la dose ajustée finale s’est poursuivie pendant quatre autres semaines.

Le paramètre d’évaluation principal était le pourcentage de patients ayant une phosphatémie <4,6 mg/dL après huit semaines de traitement. Au total, 71 patients ont terminé l’étude. Au terme de celle-ci, 44,6 % des patients sous traitement actif avaient une phosphatémie <u><</u>4,6 mg/dL, comparativement à 26,5 % des sujets sous placebo (p=0,12).

Par rapport aux valeurs initiales, la phosphatémie moyenne a diminué de façon significativement plus marquée sous l’effet du traitement actif (p=0,02). Au terme de l’étude, l’excrétion urinaire de phosphore avait diminué de 247,7 mg/jour dans ce groupe vs <100 mg/jour dans le groupe placebo (p=0,04). Le taux sérique de PTH intacte a baissé 23,8 pg/mL dans le groupe carbonate de lanthanum et augmenté de 8,8 pg/mL dans le groupe placebo (p=0,02).

Selon le Dr Sprague et ses collègues, 47,4 % des patients sous traitement actif ont éprouvé des effets indésirables contre 61 % dans le groupe placebo. Les effets indésirables les plus fréquents étaient les nausées et les vomissements, qui sont survenus chez <10 % des patients de chaque groupe. Par ailleurs, une analyse des effets indésirables montre que la proportion d’événements liés au médicament était de 19,3 % pour le carbonate de lanthanum et de 16,7 % pour le placebo.

«De même que d’autres travaux, notre étude tend à montrer que la phosphatémie est un marqueur tardif et peu sensible de la charge phosphorée chez les patients atteints d’IRC n’ayant pas besoin de dialyse, concluent les auteurs. Chez ces patients, la phosphatémie ne doit pas être considérée isolément mais en relation avec d’autres marqueurs du dérèglement du métabolisme minéral, tels l’excrétion urinaire de phosphore, le produit phosphocalcique et le taux de PTH.»

Traitement de la calciphylaxie : description d’un cas

Selon une description de cas présentée au cours du congrès, il semble que le carbonate de lanthanum pourrait jouer un rôle dans le traitement de la calciphylaxie, ou artériolopathie urémique calcifiante, affection vasculaire rare et débilitante qui se rencontre surtout chez les patients atteints d’insuffisance rénale ou présentant d’autres facteurs de risque (Couto et al. Endocr Prac 2006;12:406-10). Bien que la cause de cette complication reste obscure, on croit que le mécanisme à l’origine des lésions associe des calcifications vasculaires actives et une élévation du taux de PTH.

Le patient concerné était un homme de 64 ans ayant des antécédents de cirrhose cryptogénique. À l’admission, il présentait une insuffisance hépatique progressive, une hypotension et une insuffisance rénale, rapportent le Dr Micah Chan et ses collègues, section de néphrologie, University of Wisconsin, Madison. Les résultats des épreuves biologiques étaient les suivants : azote uréique du sang, 106 mg/dL [37,8 mmol/L]; créatinine, 3,1 mg/dL (274,0 mmol/L); calcium total, 6,7 mg/dL (1,67 mmol/L); phosphates, 4,8 mg/dL (1,55 mmol/L); produit phosphocalcique, 32,2 mg2/dL2 (2,58 mmol2/L2); et albumine, 1,3 g/dL (13 g/L). Les cultures effectuées à partir des pr
urine et de liquide péritonéal étaient négatives (Tableau 2).

Tableau 2. Calciphylaxie : description d’un cas

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À 20 jours, la calcémie du patient était passée à 10 mg/dL et la phosphatémie, à 7,1 mg/dL. Le produit phosphocalcique était de 73,1 mg2/dL2. On a donc décidé d’employer un dialysat à faible teneur en calcium et d’augmenter la durée de la dialyse. Toutefois, le produit phosphocalcique a continué de s’élever jusqu’à un maximum de 135,7 mg2/dL2. Le taux de PTH était normal (20 pg/mL).

L’hypercalcémie du patient empêchait l’usage de chélateurs de phosphate à base de calcium et le chlorhydrate de sevelamer a été écarté en raison de difficultés liées à l’administration. On a instauré un traitement par le carbonate de lanthanum à raison de 1000 mg, trois fois par jour, et poursuivi la dialyse.

Au cours des huit semaines suivantes, la calcémie et la phosphatémie ont été ramenées à des taux plus maîtrisables, et le produit phosphocalcique a atteint une valeur moyenne de 35,5 mg2/dL2. L’état nutritionnel du patient s’est également amélioré, comme le reflétait un taux d’albumine sérique de 3,8 g/dL, et le taux de PTH intacte est demeuré dans les limites de la normale.

Le Dr Chan et ses collègues ont conclu que «le lanthanum, associé à des modifications de l’hémodialyse, pourrait représenter un traitement efficace de la calciphylaxie. La réponse rapide au traitement pourrait donner espoir à un grand nombre de patients souffrant de ce syndrome débilitant et d’évolution fatale.»

Résumé

L’IRC entraîne de multiples perturbations métaboliques, notamment une élévation de la phosphatémie. Des études ont mis en évidence une majoration du risque de mortalité associée à cette élévation, même lorsque la phosphatémie demeure dans les limites de la normale. Le rôle de la restriction de l’apport alimentaire dans la maîtrise de la phosphatémie reste controversé. Les chélateurs de phosphate à base de calcium peuvent exacerber une calcémie déjà élevée et augmenter considérablement le nombre de comprimés que doit prendre le patient. Le carbonate de lanthanum, chélateur de phosphate sans calcium, s’est montré capable de régulariser la phosphatémie de manière sûre et efficace.

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