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Risque cardiovasculaire et VIH/SIDA : second regard sur l’analyse de la base de données D:A:D

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

Le 17e Congrès canadien annuel sur la recherche sur le VIH/SIDA

Montréal, Québec / 24-27 avril 2008

La survie assez longue des patients infectés par le VIH nous amène à explorer plus à fond certains risques pour la santé qui ne découlent peut-être pas directement de l’infection. Le risque cardiovasculaire (CV) attire généralement l’attention pour plusieurs raisons, notamment : les maladies CV représentent une importante cause de mortalité après l’âge de 50 ans; la prévalence des facteurs de risque CV est élevée chez les patients infectés par le VIH; et certains antirétroviraux accélèrent le risque CV du fait qu’ils altèrent le bilan lipidique. Cela dit, il y a plusieurs mois déjà, un constat fort étonnant s’est dégagé d’une analyse de la base de données D:A:D (Data Collection on Adverse Events of Anti-HIV Drugs) dont l’objectif initial était d’évaluer l’effet sur le risque CV des inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase inverse (INTI) altérant le bilan lipidique. En effet, contre toute attente, on a plutôt constaté que c’étaient les INTI n’altérant pas le bilan lipidique – et non ceux qui l’altèrent – qui semblaient majorer le risque CV.

On n’a pas réussi à dupliquer ce constat par la suite. Contrairement au lien entre les inhibiteurs de la COX-2 et le risque CV qui a été confirmé à la fois par des études d’observation et des essais avec randomisation, [le lien entre les INTI sans effet lipidique et le risque CV] n’a encore été objectivé par aucun essai randomisé», précise la présidente du congrès, la Dre Marina B. Klein, professeure adjointe de médecine, Université McGill, Montréal.

Résultats de l’analyse de la base de données D:A:D

Lors de la dernière analyse de la base de données D:A:D, les données recueillies chez 33 347 patients de 11 cohortes ont servi à vérifier l’hypothèse voulant que deux INTI, la zidovudine (AZT) et la stavudine (d4T), soient en partie responsables de l’accroissement du risque d’infarctus du myocarde (IM) que l’on avait dans le passé associé à un schéma antirétroviral hautement actif (HAART) comportant un inhibiteur de la protéase (IP). Dans cette analyse, l’abacavir (ABC) et la didanosine (ddI) étaient les agents de référence parce qu’ils sont réputés n’exercer aucun effet sur les lipides. Or, l’analyse de la base de données D:A:D a révélé contre toute attente que l’ABC et la ddI – et non l’AZT ou la d4T – étaient associés à une augmentation du risque.

En quête de données corroborantes

Cette observation – d’abord été divulguée au Congrès de 2008 sur les rétrovirus et les infections opportunistes (CROI) – a immédiatement donné lieu à une tentative de confirmation des données. Les yeux se sont surtout tournés vers l’ABC, cet agent étant souvent recommandé dans les lignes directrices. Évidemment, la première étape a été de réévaluer les données tirées d’essais avec randomisation. À ce jour, l’ABC a fait l’objet de 54 essais comparatifs, pour un total d’environ 14 600 patients. Dans le cadre de ces essais, aucune comparaison entre un schéma HAART avec ABC – y compris les schémas renfermant un IP ou un inhibiteur non nucléosidique de la transcriptase inverse (INNTI) – et un schéma HAART sans ABC n’a réussi à objectiver une tendance ou la moindre différence quant au risque CV. Le nombre absolu d’IM ou d’autres événements ischémiques était effectivement plus élevé chez les patients qui ne recevaient pas d’ABC.

Une observation comparable s’est dégagée d’une analyse indépendante des cohortes de la base de données des Veterans Affairs (VA) qui regroupe 41 213 patients et dont l’âge moyen est plus élevé que celui des sujets de l’étude D:A:D. Aucune différence n’a été observée quant aux IM, aux événements ischémiques ou à la mortalité toutes causes confondues entre les sujets recevant de l’ABC et les sujets n’en recevant pas. Au sein de cette population, dont la proportion de Noirs était plus élevée que dans les cohortes de D:A:D, 26,7 % des sujets présentaient un facteur de risque majeur modifiable, comme l’hypertension ou le diabète. Comme le précise le Dr Jaime Hernández, Triangle Park, Caroline du Nord, les analyses d’essais avec randomisation et de la base de données des VA seront publiées et présentées au Congrès international de 2008 sur le SIDA qui se déroulera à Mexico. L’absence absolue de corroboration des données de D:A:D est remarquable. Facteurs de confusion et crédibilité biologique

Le risque de confusion propre aux essais d’observation rend les essais avec randomisation nécessaires, explique la Dre Klein. À titre d’exemple, elle a décrit un type de biais de sélection en vertu duquel on privilégie parfois un agent pour un groupe particulier de patients, créant ainsi une fausse association. Dans ce cas-ci, la perception de la meilleure innocuité CV d’un INTI sans effet lipidique pourrait expliquer que l’ABC ait été offert aux patients les plus vulnérables sur le plan CV. Il n’est pas clair si ce phénomène est en cause dans les résultats récents de l’analyse de la base de données D:A:D. Par contre, note la Dre Klein, le lien entre l’ABC et le risque CV mis en lumière par l’analyse de la base de données D:A:D ne respecte pas plusieurs des critères qui valident les liens émanant des études d’observation, notamment la crédibilité biologique de l’effet observé et la concordance avec d’autres bases de données.

L’absence de crédibilité biologique avant le constat de l’analyse de la base de données D:A:D a été confirmée par une série d’études subséquentes que l’on a réalisées pour réexaminer divers facteurs de risque CV. Aucun facteur n’a été décelé. Dans l’une des études, les chercheurs se sont penchés sur le bilan lipidique des sujets de trois études prospectives (cinq groupes traitement) qui n’avaient jamais reçu d’antirétroviraux (Hernández et al. Can J Infect Dis 2008;19[suppl A]:62A, résumé P-169). Ces études portaient sur plusieurs associations d’INTI avec l’éfavirenz (INNTI) ou le nelfinavir (IP). Les auteurs ont constaté que, sans égard à l’INNTI ou à l’IP, les schémas avec ABC étaient associés au bilan lipidique le plus sain alors que les schémas comportant de la d4T et de la lamivudine (3TC) étaient plutôt associés aux élévations les plus marquées des taux de cholestérol total, de C-LDL et de triglycérides.

Dans le cadre d’une autre étude, on a comparé les effets relatifs du schéma ABC/AZT/3TC plus nelfinavir et du schéma d4T/3TC plus nelfinavir sur une période de 96 semaines chez 261 sujets non diabétiques (Hernández et al. Can J Infect Dis 2008;19[suppl A):63A, résumé P-171]. Comme on l’avait constaté lors d’études préalables, la glycémie, la glycémie à jeun et l’insulinémie ont très peu fluctué au cours du suivi, et aucune différence n’a été décelée entre les groupes.

Lors d’une étude d’envergure beaucoup plus faible et de durée moindre, les chercheurs ont tenté d’évaluer les variations de l’activateur tissulaire du plasminogène (tPA) et de l’inhibiteur de type 1 de l’activateur du plasminogène (PAI-1), deux déterminants clés de l’activité antithrombotique endogène (Hernández et al. Can J Infect Dis 2008;19 [suppl A]:63A, résumé P-172). Ils ont mesuré les variations des taux d’antigènes tPA et PAI-1 sur une période de huit semaines chez 14 sujets non diabétiques qui recevaient le schéma ABC/3TC plus amprénavir (IP). Si l’antigène tPA a baissé de façon marquée et significative (p=0,02) pendant cette période, annonçant ainsi une activité thrombolytique accrue, l’antigène PAI-1 est demeuré stable. Il semble, à la lumière de ces données, qu’un marqueur de thrombolyse anormale puisse s’améliorer sous l’effet d’un schéma antirétroviral à base d’ABC. Cet avantage pourrait être attribuable à une diminution de l’inflammation liée au VIH, croient les auteurs.

Certes, les études d’observation aident grandement à repérer les effets cliniques qui peuvent passer inaperçus dans les essais cliniques, mais il est arrivé à maintes reprises dans le passé qu’un constat ne puisse ensuite être corroboré. La Dre Klein a cité quelques exemples bien connus, dont la protection CV qui a été associée à l’oestrogénothérapie de substitution dans les études d’observation et qui a d’ailleurs motivé l’emploi de cet agent à grande échelle, mais qui n’a pu être corroborée par l’étude prospective avec randomisation qu’on a finalement décidé de faire. Le lien causal est souvent vague, prévient-elle. Elle note au passage qu’il serait facile d’associer, à tort, consommation d’alcool et cancer du poumon pour la simple raison que cigarette et alcool vont souvent de pair.

Le constat qui s’est récemment dégagé de l’analyse de la base de données D:A:D est probablement représentatif du risque de confusion inhérent aux études d’observation, estime la Dre Klein. «Seul un essai avec randomisation peut éliminer la confusion qui émane d’une étude d’observation», souligne-t-elle. Pour évaluer les conclusions d’une étude d’observation, on doit tenir compte non seulement de la crédibilité biologique de l’effet observé, mais également d’autres facteurs comme la concordance de multiples études, la puissance des corrélations statistiques observées et le lien dose-réponse. Les données ne convergeant pas vers une seule et même conclusion, l’ABC continue de compter parmi les INTI recommandés dans les schémas HAART.

Résumé

Les grands efforts déployés pour valider le lien entre l’ABC et l’accroissement du risque CV qui est ressorti d’une analyse récente de la base de données D:A:D se sont révélés infructueux. Les chercheurs ont notamment analysé une cohorte distincte de plus de 41 000 patients et réexaminé tous les essais prospectifs avec randomisation sur l’ABC. Comme on ne peut tirer de conclusion objective sans d’abord effectuer un essai à l’insu avec randomisation, il est digne de mention que le moindre signe d’augmentation du risque CV n’ait pu être décelé.

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