Comptes rendus

Sortir des sentiers battus : Stratégies novatrices pour un bilan équilibré
Anti-TNF dans la polyarthrite rhumatoïde : viser la rémission

Rémission sans traitement dans la polyarthrite rhumatoïde : la stratégie BeSt

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

LE FORUM 2008 - Rhumatologie

Commentaire éditorial :

Cornelia F. Allaart, MD, PhD|

Professeure agrégée, Département de rhumatologie, Centre médical de l’Université de Leyde, Leyde, Pays-Bas

Les résultats de l’étude BeSt (Behandel Strategieën), publiés récemment, ont confirmé l’importance d’une étroite surveillance de l’activité de la polyarthrite rhumatoïde (PR) pour le mieux-être du patient. On peut appliquer ces observations en clinique sans plus attendre. Moyennant l’ajustement du traitement en vue d’une maîtrise serrée, l’activité de la maladie est demeurée faible chez 80 % des patients pendant une période qui dépasse maintenant quatre ans. Qui plus est, une rémission complète sans traitement s’est installée chez une minorité appréciable de sujets, soit près de un patient sur cinq traité d’emblée par l’association méthotrexate-infliximab. Les patients soumis dès le départ à l’association méthotrexate-prednisone ou méthotrexate-infliximab ont été les mieux protégés contre la progression radiologique. BeSt est la première étude d’envergure qui confirme que l’arrêt du traitement constitue une visée réaliste pour les patients traités de manière optimale tôt après l’apparition de la PR.

Traitement précoce et intensif : une nécessité

Progression et risque élevé de lésions articulaires irréversibles : telle est l’évolution naturelle de la PR. Avant l’étude BeSt, l’utilité du traitement précoce par des agents de rémission pour l’amélioration clinique à long terme était d’ores et déjà reconnue. Les résultats de cette étude viennent donc consolider cet algorithme. Les chercheurs ont montré, en effet, que l’on pouvait contenir la progression, et parfois même obtenir une rémission durable, par un suivi régulier de la PR et l’adaptation du traitement à l’activité de la maladie. Au terme de quatre années, la stratégie s’étant révélée la plus efficace en prévention des lésions articulaires est le recours initial à une association de méthotrexate - agent de rémission traditionnel - et de prednisone ou d’infliximab, inhibiteur du facteur de nécrose tumorale alpha (TNF-a). Cela dit, l’enseignement le plus précieux de l’étude BeSt est le suivant : un traitement précoce et intensif, adapté à l’activité de la maladie, peut infléchir le cours de la PR.

BeSt est une étude multicentrique avec randomisation menée aux Pays-Bas. Les chercheurs ont comparé quatre stratégies de traitement chez 508 sujets. Deux des groupes ont été soumis d’emblée à une monothérapie et les deux autres, à une association médicamenteuse. Dans tous les groupes, on a procédé aux ajustements thérapeutiques nécessaires à l’obtention d’un score DAS (Disease Activity Score) =2,4, passant au besoin de la monothérapie au traitement d’association.

Ces résultats sur quatre ans s’ajoutent à une série de publications corroborant la supériorité du traitement d’association sur la monothérapie pour une amélioration fonctionnelle précoce et l’inhibition des lésions articulaires objectives (Van Der Kooij et al. Ann Rheum Dis, publié en ligne avant impression le 28 juillet 2008). Les données à quatre ans sont remarquablement proches des résultats à deux ans (Goekoop-Ruiterman et al. Ann Intern Med 2007;146:406-15) quant à la proportion de sujets dont la maladie est maîtrisée ou en rémission, ce qui confirme la durabilité des bénéfices initiaux. Soulignons qu’ici encore, le traitement d’association initial s’est imposé à titre de stratégie gagnante, tant après deux qu’après quatre ans.

Score DAS, baromètre du traitement

Le traitement en fonction du score DAS est au coeur même de l’étude BeSt. Après randomisation, les patients étaient évalués tous les trois mois par un clinicien qui ignorait à quel groupe ils appartenaient. Un score DAS =2,4 commandait le passage au degré suivant de la filière thérapeutique attribuée au patient. Après les deux premières années de l’essai, on a réduit progressivement, lors de chaque évaluation trimestrielle, la posologie chez les patients sous monothérapie d’entretien qui avaient obtenu un score DAS <1,6 pendant six mois consécutifs, éventuellement jusqu’à l’arrêt complet du traitement.

Revenons aux filières thérapeutiques. Le groupe 1 recevait des monothérapies séquentielles, en commençant par le méthotrexate; les sujets n’atteignant pas l’objectif fixé passaient ensuite, dans cet ordre, à la sulfasalazine, au léflunomide, puis à l’association méthotrexate-infliximab. Le traitement commençait également par le méthotrexate en monothérapie dans le groupe 2, mais le degré suivant était ici l’association méthotrexate-sulfasalazine, intensifiée au besoin d’abord par l’hydroxychloroquine et ensuite par la prednisone, le dernier degré étant l’association méthotrexate-infliximab. Le groupe 3 a reçu d’emblée l’association méthotrexatesulfasalazine- prednisone, puis éventuellement de l’hydroxychloroquine. Au besoin, les sujets sont passés au méthotrexate-cyclosporine A-prednisone et, en dernier lieu, à la bithérapie méthotrexateinfliximab. Enfin, le groupe 4 a amorcé la démarche par l’association méthotrexateinfliximab, avec passage possible à la sulfasalazine et au léflunomide au besoin.

Après deux ans, 80 % de la population BeSt, tous groupes confondus, affichait un score DAS =2,4 et avait dès lors atteint l’objectif du traitement. Après quatre ans, cette proportion s’établissait toujours à 81 % : une maîtrise rigoureuse, instaurée dès le début du processus morbide, amène donc une stabilité remarquable. En outre, après quatre ans, 43 % des patients (42 % après deux ans) étaient en rémission clinique, définie par un score DAS <1,6. Au titre du protocole BeSt, la rémission sans traitement était impossible après deux ans, mais réalisable après quatre ans, et 13 % de la population a satisfait à ce critère de réussite thérapeutique. L’étude confirme le bien-fondé du recours au score DAS comme guide thérapeutique, peu importe le traitement initial; cela dit, la stratégie choisie n’en a pas moins influé sur plusieurs paramètres importants.


Efficacité du traitement d’association précoce

En traitement initial, l’association médicamenteuse s’est généralement montrée supérieure à la monothérapie selon de nombreux critères cliniques, et la bithérapie méthotrexateinfliximab s’est révélée supérieure à l’association méthotrexate-sulfasalazine-prednisone.

Plus précisément, selon une analyse basée sur le report en aval de la dernière observation, la proportion de patients qui, au cours des quatre années de l’étude, ne sont pas parvenus à maîtriser la maladie (DAS >2,4) ou ont vu cette maîtrise se dégrader au degré thérapeutique initial a atteint 17 % dans le groupe 4 (méthotrexateinfliximab d’emblée), 23 % dans le groupe 3 (autre groupe traité d’emblée par une association) et pas moins de 49 % et de 48 % dans les groupes 1 et 2, respectivement, traités d’emblée par le méthotrexate en monothérapie. En d’autres termes, un plus grand nombre de sujets des groupes 1 et 2 ont dû changer de traitement ou intensifier celuici, tandis que dans les groupes 3 et 4, la majorité des sujets ont pu alléger leur traitement ou y mettre fin. L’efficacité est ici le maître-mot. On n’a pas relevé de différence significative entre les taux d’abandon pour cause d’effets indésirables. Dans le cas de l’infliximab, tout particulièrement, le taux élevé de cessation du traitement (48 %) après quatre ans en raison d’une réponse appréciable et soutenue est remarquable. Toutefois, lorsqu’on doit réintroduire ce médicament en traitement de secours plus tard dans la maladie, on peut rarement mettre fin au traitement une seconde fois.

Tableau 1. Paramètres principaux après deux1</sup
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ans

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Une analyse subséquente (van der Kooj et al. Ann Rheum Dis 2007;66:1356-62) a révélé que l’utilisation d’un agent de rémission classique après l’échec d’un traitement par le méthotrexate était peu susceptible de conduire à un score DAS <2,4; cependant, l’association méthotrexateinfliximab a été efficace chez 71 % des patients qui sont passés à ce traitement, résultat qui milite en faveur de l’entrée en scène précoce des biothérapies après l’échec du méthotrexate.

Arguments radiographiques en faveur du traitement d’association précoce

Les écarts entre les groupes sont encore plus frappants sur les radiographies. On a constaté une progression des lésions articulaires sur quatre ans chez seulement 31 % des sujets sous méthotrexate-infliximab et 38 % des sujets de l’autre groupe sous traitement d’association contre 51 % et 54 %, respectivement, des sujets des groupes 1 et 2, dont le traitement a débuté par une monothérapie (p<0,05 pour le groupe 4 vs le groupe 1 ou 2). Par ailleurs, la comparaison des scores de Sharp-van der Heijde moyens a révélé que la variation totale médiane du score et la variation médiane du score d’érosion étaient deux fois plus élevées dans les groupes 1 et 2 que dans le groupe 4. Quant aux patients du groupe 3, traités d’emblée par l’association méthotrexate-sulfasalazine-prednisone, ils ont obtenu des scores plus élevés que ceux du groupe méthotrexate-infliximab pour les paramètres radiographiques, mais les différences ne sont pas statistiquement significatives; ajoutons qu’ils ont été, eux aussi, nettement mieux protégés contre la progression que les patients des deux groupes sous monothérapie initiale.

Les écarts au chapitre de la progression radiologique après quatre ans pourraient être encore plus révélateurs que l’avantage différentiel des schémas d’association observé lors de l’analyse de l’étude BeSt après la première année (Goekoop- Ruiterman et al. Arthritis Rheum 2005;52:3381- 90). Le plan de l’étude prévoyait le passage à un traitement d’association, éventuellement la bithérapie méthotrexate-infliximab, en cas de maîtrise déficiente au degré thérapeutique initial. On se serait donc attendu à ce que les différences entre les groupes s’estompent avec le temps. Or, il n’en est rien : elles se sont maintenues, étayant solidement l’existence possible d’une fenêtre thérapeutique pendant laquelle la mise en route d’un traitement d’association serait le gage de résultats optimaux. Bref, une fois la destruction radiologique amorcée, il est plus difficile de stopper la progression de la maladie.

Obtention d’une rémission sans traitement

L’obtention d’une rémission sans traitement constitue une autre observation digne de mention, pour ne pas dire remarquable, de l’étude BeSt. Dans le groupe traité d’emblée par le méthotrexate-infliximab, 18 % des sujets étaient en rémission sans traitement après quatre ans. Ce taux s’établissait à 8 % dans l’autre groupe sous traitement d’association, à 14 % dans le groupe 1 et à 12 % dans le groupe 2. La proportion de sujets ayant obtenu une rémission sans traitement à un moment donné pendant l’étude se chiffre à 27 % dans le groupe 4, à 16 % dans le groupe 3, à 17 % dans le groupe 2 et à 21 % dans le groupe 1. Dans la majorité des cas, la rémission sans traitement est durable, la durée moyenne étant actuellement de deux ans. Bien que le passage précoce à un agent biologique abrège la période pendant laquelle la maladie échappe à toute maîtrise, la possibilité d’obtention d’une rémission sans traitement grâce à l’infliximab demeure réelle, même après l’échec de nombreux agents de rémission traditionnels. Dans la population BeSt, les patients traités sur le tard par l’infliximab, après l’échec de nombreux agents de rémission traditionnels, sont néanmoins parvenus à une rémission sans biothérapie dans une proportion de 15 %, selon l’analyse à deux ans.

Ici encore, le passage d’une monothérapie initiale à un traitement d’association en cas de maîtrise déficiente, prévu au protocole, devrait normalement réduire au minimum les écarts pour ce paramètre. L’éventualité d’une rémission sans traitement pourrait se révéler encore plus probable dans la réalité que dans l’étude BeSt, car les chercheurs réduisaient peu à peu la posologie d’un seul agent à la fois, et uniquement après six mois de rémission au moins. En tenant compte de plusieurs prédicteurs d’une rémission soutenue, par exemple le taux du facteur rhumatoïde, les marqueurs de l’inflammation ou l’absence d’érosion au départ, on pourrait sans doute accélérer la cessation graduelle du traitement chez certains patients. Autre point faible de l’étude BeSt : seuls les patients répondant aux critères de classification de l’ACR et dont la maladie était fortement active y ont été admis. La mise en place du traitement à une phase moins avancée pourrait conduire à des taux de rémission encore plus élevés.

Résumé

Les résultats obtenus après quatre ans dans la population BeSt nous permettent de mieux aborder la maîtrise à court et à long terme de la PR. Les données les plus récentes le confirment : on obtient de meilleurs résultats en prescrivant d’emblée un traitement d’association plutôt qu’une monothérapie. Les observations démontrent aussi qu’on doit surveiller étroitement l’activité de la maladie et, au besoin, intensifier le traitement de sorte qu’elle demeure faible. Bien que l’infliximab, l’un des deux agents de l’association la plus efficace en traitement initial, ne soit pas remboursé en première intention pour l’instant dans de nombreux pays, les résultats de l’étude BeSt démontrent qu’une activité morbide persistante impose un traitement plus énergique tôt dans le cours de la PR. Cette démarche favorise la prévention de la progression radiologique et ouvre la porte à une éventuelle rémission sans traitement.

questions et réponses

Groupe d’experts

Boulos Haraoui, MD, FRCPC

Université de Montréal, Montréal, Québec

Algis V. Jovaisas, MD, FRCPC

Université d’Ottawa, Ottawa, Ontario

Majed M. Khraishi, MB, BCh, FRCPC

Memorial University of Newfoundland, St. John’s, Terre-Neuve

Cathy E. Flanagan, MD, MDCM, FRCPC

Royal Columbia Hospital, New Westminster, Colombie-Britannique

Cornelia F. Allaart, MD, PhD

Centre médical de l’Université de Leyde, Leyde, Pays-Bas

Comment définit-on la rémission dans la PR, et celle-ci est-elle possible à l’aide des traitements actuels?

Dr Jovaisas : Si nous nous contentions jadis d’une définition purement clinique de la rémission, les données dont nous disposons aujourd’hui nous autorisent, je pense, à aller au-delà de la maîtrise des symptômes pour viser, à tout le moins, la rémission radiologique et biologique. Il existe un risque d’évolution défavorable à long terme lorsque la maladie connaît une activité infraclinique. À en juger par l’étude BeSt, la rémission est possible, du moins dans certains cas.

Dr Haraoui : Étant donné les multiples critères d’évaluation de la PR (signes et symptômes, capacité fonctionnelle, qualité de vie, lésions radiographiques, etc.), la définition de la rémission doit être multidimensionnelle. Certains critères sont interdépendants, par exemple les lésions radiographiques et la capacité fonctionnelle, mais certains dépendent d’autres facteurs. Cela dit, il est généralement admis qu’une rémission véritable est à la fois clinique et radiographique. On doit donc définir la rémission clinique à l’aide de paramètres validés tel le score DAS ou des outils plus simples tels les indices SDAI et CDAI. Par ailleurs, l’absence de progression des lésions selon les radiographies atteste la rémission radiographique. La rémission véritable est possible dans la PR, a fortiori si on prend la maladie en charge à un stade précoce et qu’on s’emploie à atteindre ce but en procédant fréquemment à des évaluations cliniques et à des ajustements thérapeutiques.

Dre Flanagan : On peut définir la rémission par le score DAS 28 ou DAS 44, comme dans l’étude BeSt. Avec les traitements actuels, notamment les agents biologiques qui ciblent le TNF, on peut parvenir à la rémission chez beaucoup de patients, mais pas chez tous. Selon certains rhumatologues, le DAS 28 n’est pas assez sensible, car un patient peut satisfaire à ce critère tout en ayant six articulations tuméfiées. Depuis quelque temps, des chercheurs et des rhumatologues ont recours à l’indice CDAI ou SDAI, selon lequel il ne peut y avoir rémission que si l’activité morbide est nulle dans toutes les articulations.

Dre Allaart : La rémission est une chose et la maîtrise en est une autre. Grâce aux traitements plus efficaces dont nous disposons, il semble que nous puissions espérer non seulement maîtriser la maladie pour améliorer la qualité de vie immédiate, mais aussi obtenir une rémission qui pourrait infléchir véritablement l’évolution à long terme de la maladie. Dans l’étude BeSt, on a pu traiter la PR sans égard aux symptômes grâce à des outils d’évaluation sensibles de l’activité de la maladie, ce qui a sans doute contribué à l’obtention de résultats à long terme impressionnants. Nous ne pouvons promettre la rémission à tous les patients, même à ceux qui entreprennent un traitement énergique précoce, mais c’est certainement un résultat auquel nous pouvons désormais aspirer.

Dr Khraishi : Dans la PR, la rémission est définie par un score DAS (habituellement DAS 28 VS) de moins de 2,6 ou, moins souvent, par les critères de rémission de l’ACR. Principalement utilisés en recherche, ces deux ensembles de critères sont cependant de plus en plus appliqués en clinique. En pratique, de nombreux rhumatologues estiment que le patient est en rémission s’il ne présente aucune articulation tuméfiée. Reste à savoir si l’inhibition de l’atteinte osseuse visible à la radiographie devrait s’inscrire dans une rémission complète. Quoi qu’il en soit, une rémission clinique, qu’elle soit définie par le score DAS 28 ou par l’absence d’articulation tuméfiée, constitue sans le moindre doute un objectif réalisable à l’aide des médicaments et des algorithmes de traitement actuels.

L’étude BeSt a-t-elle modifié les perceptions quant à l ’exi s tence d’une fenêtre thérapeutique pendant laquelle un traitement énergique précoce pourrait influer sur l’évolution à long terme de la PR?

Dr Haraoui : L’étude BeSt est une démonstration on ne peut plus simple et efficace du concept de traitement précoce en fonction d’un objectif bien défini, que l’on s’emploie à atteindre par des ajustements fréquents du traitement. Ce qu’il y a de nouveau dans cette étude, c’est qu’on a comparé diverses stratégies thérapeutiques pour la réalisation d’un seul et même objectif et constaté que la plus efficace était l’utilisation précoce de l’association méthotrexate-infliximab : cette stratégie a permis d’atteindre rapidement l’objectif fixé et d’inhiber plus efficacement la progression des lésions radiographiques. Cependant, certaines stratégies thérapeutiques sont demeurées inexplorées dans l’étude BeSt, par exemple le traitement d’emblée par une association de deux ou de trois agents de rémission à des doses optimales.

Dre Flanagan : Oui, l’étude BeSt a certainement changé les perceptions sur le traitement précoce de la PR agressive pour prévenir les lésions. Nous nous réjouissons à la perspective de pouvoir amener le patient en rémission et le libérer de ses médicaments par un traitement précoce et énergique au moyen de l’infliximab et, du coup, stopper la progression de la maladie.

Dre Allaart : La prolongation de l’étude BeSt nous a appris que l’arrêt permanent du traitement par l’infliximab, voire la rémission sans traitement, constituait une visée réaliste. Le fait que la différence au chapitre de la progression radiologique, déjà visible après une année de traitement, soit demeurée statistiquement significative est également digne de mention vu le fort pourcentage de patients qui, de leur monothérapie initiale, sont passés à un traitement d’association avec prednisone ou infliximab. Tout porte à croire, donc, qu’il existe une fenêtre thérapeutique, en début de maladie, pendant laquelle la mise en route d’un traitement d’association serait le gage de résultats optimaux et que, parallèlement, le processus pathologique risque de s’emballer et les lésions radiologiques, de se multiplier, si on amorce le traitement par une monothérapie.

Dr Khraishi : Dans l’ensemble, l’étude BeSt a grandement contribué à une meilleure compréhension du traitement de la PR. Cependant, d’autres études sur les biothérapies confirment qu’un traitement précoce efficace de la PR, avec ou sans agent biologique, peut conduire à la rémission et prévenir plus efficacement la destruction radiologique. Les résultats de l’étude BeSt portent sur le traitement ciblé. Nous savons maintenant que des lésions articulaires visibles à la radiographie se produisent très tôt dans de nombreux cas de PR.

Dr Jovaisas : En présence d’une maladie articulaire évolutive, il est logique de penser qu’une intervention efficace précoce produira de meilleurs résultats à long terme en ralentissant la détérioration, ce que l’étude BeSt a confirmé de façon objective. Peut-être n’est-il pas nécessaire de prescrire d’emblée un anti-TNF à tous les patients pour obtenir des résultats à long terme acceptables, mais l’étude BeSt a démontré qu’il fallait s’employer à maîtriser rapidement la maladie pour mieux prévenir les lésions articulaires. Enfin, les résultats de cette étude permettent de croire qu’en réprimant énergiquement l’inflammation, on peut effectivement prévenir les lésions articulaires.

Au cours de l’étude BeSt, on a adapté le traitement en fonction du score DAS, qui était surveillé de près. Partant, devrait-on traiter le patient en se fiant davantage à une évaluation objective de l’activité de la maladie qu’aux seuls symptômes?

Dr Jovaisas : Voilà, peut-être, la principale leçon à tirer de l’étude BeSt. Si on compare les groupes, on constate que les sujets sous anti- TNF ont obtenu les meilleurs résultats. Toutefois, la surveillance étroite et les ajustements thérapeutiques effectués au sein des quatre groupes ont, à n’en pas douter, contribué au fort taux de maîtrise enregistré dans tous les groupes pendant la période de suivi. Ce type de suivi aux fins d’ajustement du traitement est envisageable en pratique et peut améliorer l’issue.

Dr Haraoui : Étant donné la nature de la PR, caractérisée par une inflammation tant biologique que clinique sans corrélation systématique avec les handicaps fonctionnels, on doit utiliser un outil d’évaluation qui englobe tous les aspects de la maladie. On ne peut se fier à un seul et unique paramètre. L’instrument le plus validé et reconnu est le score DAS, utilisé dans l’essai BeSt. Toutefois, il se prête mal à un usage quotidien, et c’est pourquoi on a mis au point et validé des outils plus simples, tels les indices SDAI et CDAI, dont on ne doit pas hésiter à se servir.

Dr Khraishi : La conduite du traitement en fonction de critères objectifs bien établis est possible. Cela dit, on doit tenir compte d’autres facteurs, tels que la toxicité et les préférences du patient. De plus, on peut s’interroger sur l’importance à accorder à quelques articulations tuméfiées, mais non douloureuses.

Dre Allaart : Tous les sujets de l’étude BeSt ont subi, tous les trois mois, une évaluation portant sur 66/68 articulations. À l’heure actuelle, il n’existe pas de méthode qui permettrait une prise en compte de l’information sur l’ensemble des articulations, alors nous avons plutôt opté pour l’indice DAS 44, et ça a très bien fonctionné. Tant le patient que le rhumatologue est à même de voir s’il y a eu amélioration, mais comme il est plus difficile de déterminer si l’activité de la maladie est assez faible, ou de l’accepter, il importe de mesurer cette activité et d’adapter le traitement pour demeurer en deçà d’une certaine limite.

Dre Flanagan : Le traitement doit être ajusté en fonction de paramètres objectifs : cela ne fait aucun doute. Diverses études, notamment TICORA (Tight Control for Rheumatoid Arthritis) et FinRACo (Finnish RA Combination Therapy), ont montré clairement que par rapport aux pratiques usuelles, une surveillance étroite – exercée par exemple une fois par mois – et un traitement axé sur une maîtrise serrée de la maladie grâce à des mesures objectives tel le score DAS avaient eu un effet très significatif sur la progression clinique et radiologique de l’arthrite.

Chez certains patients, la PR évolue rapidement. Dans quelle mesure est-il important de repérer ces patients afin de les soumettre à un traitement plus intensif?

Dr Haraoui : On a fait plusieurs tentatives de catégorisation des patients. Les seuls facteurs qui, preuves à l’appui, laissent présager une atteinte grave sont la présence, au moment de la prise en charge, du facteur rhumatoïde (FR), d’un fort taux d’anticorps anti-CCP ou de marqueurs inflammatoires (VS, CRP), ou encore de signes d’érosion. Plus ces facteurs sont nombreux chez un même sujet, plus le risque est élevé. Par ailleurs, nous avons appris, dans l’essai ASPIRE, que la progression radiographique après 52 semaines était plus marquée dans les cas où l’activité de la maladie et/ou le taux de CRP ou la VS demeuraient élevés après 14 semaines de monothérapie par le méthotrexate.

Dr Khraishi : C’est l’un de nos plus grands enjeux à l’heure actuelle, d’autant plus que la rémission est désormais possible grâce aux médicaments récents et aux nouvelles modalités de traitement. La plupart des rhumatologues pensent qu’on doit effectivement repérer ces patients pour pouvoir, très tôt, les traiter plus énergiquement et fixer des paramètres de surveillance objectifs. Si l’on préconise une mise en place plus hâtive de la biothérapie, c’est notamment parce que selon diverses études, les anti-TNF semblent plus efficaces que les agents de rémission classiques en prévention des lésions articulaires structurales.

Dre Flanagan : Il est très important de repérer les patients dont la maladie est agressive à un stade précoce. Nous savons que la majeure partie des lésions radiologiques surviennent au cours des deux premières années, alors nous avons plus de chances de les prévenir si nous intervenons rapidement. Mais il est vrai également qu’un traitement énergique ne s’impose pas chez tous les patients. Ainsi, le méthotrexate en monothérapie convient tout à fait à certaines personnes, qui n’ont dès lors pas besoin d’agents biologiques. Il faut donc savoir quels patients ont un pronostic défavorable afin de leur prescrire sans tarder un traitement énergique, capable de prévenir les lésions et d’infléchir le cours de la maladie.

Dre Allaart : Il va sans dire qu’il y a des cas de PR plus agressifs que d’autres. Toutefois, il n’est pas possible actuellement de cerner, au tout début du traitement, les différences au chapitre du risque. Pour ma part, je préfère traiter tous les patients énergiquement d’emblée, quitte à cesser rapidement la prescription de certains ou de l’ensemble des médicaments, plutôt que de commencer par une monothérapie, de passer plus tard seulement à des associations plus efficaces et, ce faisant, de manquer la fenêtre thérapeutique et d’exposer le patient à des lésions permanentes et à une maîtrise déficiente de sa maladie.

Dr Jovaisas : Des données récentes, dont celles de l’étude BeSt, semblent indiquer qu’on devrait adapter le traitement à l’activité de la maladie afin de repérer les cas de PR les plus agressifs. Si le traitement initial n’amène pas une maîtrise adéquate, on passera à des agents plus efficaces. Cette démarche permet de repérer les patients ayant besoin d’un traitement plus intensif.

Quels sont les facteurs qui indiquent qu’un patient a besoin d’un traitement plus intensif?

Dre Flanagan : Nous connaissons bon nombre de facteurs annonciateurs d’un sombre pronostic, soit la présence du FR ou d’anticorps anti-CCP (surtout lorsque l’un et l’autre sont présents), un taux élevé de CRP ainsi que la présence de l’épitope partagé et d’érosions à un stade précoce de la PR. On recherche de plus en plus la présence d’une synovite en demandant une échographie ou une IRM des mains. En Europe, on mène des études sur l’échographie pour déterminer si les patients dont la radiographie est normale et dont la synovite n’a pas de retentissement clinique doivent être soumis à un traitement plus agressif. Nous avons besoin d’outils plus précis pour repérer les patients qui doivent être traités énergiquement dès le début; à ce propos, nous fondons beaucoup d’espoir sur d’éventuels biomarqueurs.

Dr Haraoui : Les facteurs de risque reconnus, soit la présence du FR, un fort taux d’anticorps anti-CCP, une solide expression des marqueurs inflammatoires telle la CRP et les signes d’érosion sont tous utiles.

Dre Allaart : J’aurais tendance à inverser le processus et à rechercher plutôt les patients susceptibles de ne présenter qu’une atteinte assez légère (par exemple, les hommes non fumeurs, exempts d’anticorps et de lésions précoces, dont la maladie est peu active et les articulations tuméfiées, peu nombreuses). Cela dit, nous savons fort bien que chez certains de ces patients, les lésions progresseront et qu’un traitement plus énergique se serait donc imposé.

Dr Khraishi : Voici, selon moi, les facteurs de mauvais pronostic : anticorps anti-CCP; FR; apparition de la PR à un jeune âge; antécédents familiaux importants de PR (qui évoquent une forte composante génétique); agressivité précoce de la maladie se traduisant par une atteinte articulaire étendue; taux élevé de médiateurs inflammatoires tels que la CRP ou des érosions précoces; et manifestations extra-articulaires. De plus, il semble que la maladie soit plus agressive chez les fumeurs.

Dr Jovaisas : Il serait bien de dresser, en se basant sur l’étude BeSt, la liste des facteurs annonciateurs d’une progression accélérée. Bon nombre de ces facteurs sont déjà connus, mais un système de pointage nous permettrait d’évaluer rapidement le risque et de repérer les candidats à un traitement énergique précoce.

L’analyse à cinq ans de l’étude BeSt révèle que 51 % des patients traités d’emblée par l’association méthotrexate-infliximab après randomisation sont parvenus à la rémission selon le score DAS 44, laquelle s’est maintenue après le retrait de l’infliximab. En outre, 18 % des patients ayant amorcé le traitement par le méthotrexate-infliximab ont pu cesser de prendre l’infliximab, mais aussi tous les autres agents de rémission. Ces données à plus long terme, soit cinq ans, vont-elles vous amener à prescrire davantage l’infliximab d’emblée en vue de prolonger la quiescence de la maladie?

Dr Haraoui : Jusqu’à maintenant, seul l’infliximab s’est montré capable, en essai clinique, d’amener une rémission qui se maintient après l’arrêt du traitement, du moins chez certains patients. Son utilisation, fort avantageuse, devrait donc être encouragée, puisqu’elle profite tant aux patients qu’aux tiers payeurs.

Dr Khraishi : Spontanément, je répondrais «oui», quoique de nombreux rhumatologues croient qu’il s’agit là d’un effet de classe, si bien que des anti-TNF autres que l’infliximab pourraient offrir des bénéfices comparables.

Dre Allaart : J’amorcerais volontiers le traitement par une association qui comprend l’infliximab ou peut-être un autre anti-TNF (bien qu’il ne soit pas prouvé, l’effet de classe est vraisemblable) si on changeait les règles de remboursement. Selon les analyses d’économie de la santé de l’étude BeSt, cette stratégie pourrait même se révéler efficiente à long terme. À l’heure actuelle, le meilleur traitement initial de rechange est probablement une association qui comprend de la prednisone, pour autant que l’utilisation de cet agent ne se prolonge pas. Si la maladie se réveille après l’arrêt de la prednisone, on passe à l’étape suivante, c’est-à-dire à une association avec anti-TNF.

Dr Jovaisas : On devra répondre à des questions importantes sur les avantages par rapport au risque et par rapport au coût avant de recourir d’emblée aux biothérapies chez tous les patients. Cela dit, le fait qu’au moins certains sujets de l’essai BeSt aient obtenu une rémission sans traitement prolongée est on ne peut plus encourageant. Nous ne saurions dire pour l’instant si la rémission définitive est possible, ce qui signifierait essentiellement qu’une maladie autrefois incurable peut aujourd’hui être guérie, mais il est clair que des résultats comme ceuxlà seront pris en compte dans l’évaluation des avantages cliniques et économiques du point de vue des patients et des tiers payeurs.

Dre Flanagan : Les résultats à cinq ans de l’étude BeSt sont impressionnants. Un essai comparatif avec randomisation aurait été encore mieux, bien sûr. En revanche, cette vaste étude a réuni des patients atteints d’une PR précoce de sombre pronostic. Or, le fait qu’une proportion significative des sujets traités d’emblée par le méthotrexate-infliximab aient été libérés de leur maladie et de leurs médicaments après cinq ans amènera vraisemblablement plus de praticiens à prescrire ce traitement en début de maladie. Il existe toutefois un obstacle important, et c’est l’absence de remboursement par les assureurs et l’État. Si cette option était accessible, il ne fait aucun doute que sa mise en oeuvre serait souhaitable chez certains patients. Si on étoffe le dossier pharmacoéconomique de ce traitement, en attestant par exemple d’avantages au chapitre de la prolongation de la survie sans traitement ou du retour à la vie professionnelle, les tiers payeurs seront sans doute plus enclins à délier les cordons de la bourse.

Les résultats de l’étude BeSt sont-ils pertinents pour le praticien?

Dre Flanagan : Oui, dans la mesure où ils montrent que nous devrions, au moment même du diagnostic, tenter de repérer les patients atteints d’une PR agressive et exposés à un sombre pronostic, de sorte à pouvoir les traiter énergiquement sans délai en surveillant l’activité de la maladie par des paramètres objectifs et à les amener ainsi vers une rémission durable. Nous devrions nous efforcer d’instaurer une biothérapie le plus tôt possible chez ces patients; pour autant qu’elle soit accessible, la bithérapie méthotrexate-infliximab constituera un choix judicieux dans une PR débutante très agressive, l’objectif étant la rémission durable sans médicament.

Dr Jovaisas : Le protocole BeSt, soit l’amorce du traitement par une association et le passage à des degrés thérapeutiques supérieurs lorsque l’activité de la maladie le justifie, est envisageable en pratique, et je pense que les résultats vont influencer grandement les cliniciens. En démontrant l’hypothèse voulant qu’une maîtrise précoce de la maladie par des moyens énergiques donne de meilleurs résultats qu’une prise en charge moins rigoureuse, l’étude BeSt est de nature à réorienter la démarche thérapeutique.

Dr Haraoui : Absolument. Nous avons plusieurs leçons à en tirer : premièrement, nous pouvons obtenir de meilleurs résultats par un traitement précoce; deuxièmement, nous devrions traiter en fonction d’objectifs précis pour parvenir à une rémission prolongée; troisièmement, il est préférable de recourir sans délai à un anti- TNF plutôt qu’à un agent moins puissant et, finalement, la rémission est possible et peut être maintenue sans médicaments, du moins chez certains patients.

Dr Khraishi : Je pense que oui. D’ailleurs, ces résultats modifient déjà notre prise en charge de la PR, notamment parce qu’ils témoignent des effets d’une intervention énergique avec ou sans agent biologique et d’une surveillance très étroite de la réponse dès le tout début du traitement.

Dre Allaart : Oui, selon moi, les résultats de l’étude BeSt devraient s’appliquer dès maintenant à la prise en charge de la PR. Cet essai a révélé que peu importe la stratégie thérapeutique, on pouvait parvenir à une faible activité de la PR chez plus de 80 % des patients si on ajustait le traitement en fonction de ce but et obtenir une rémission dans plus de 40 % des cas. Bref, il faut traiter la PR en surveillant de près l’activité de la maladie d’après un objectif bien défini.

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