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Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

Point de vue sur l’article suivant : J Am Soc Nephrol 2006;17(2):581-9

Transplantation Mars 2006

Compte rendu de : G.V. Ramesh Prasad, MB, BS, MSc, FRCPC

Professeur adjoint de médecine University of Toronto Toronto, Ontario

Médecin St. Michael’s Hospital Toronto, Ontario

Le cancer est devenu l’une des principales causes de mortalité chez les greffés d’organes, affirmait le Dr Josep Campistol, Hospital Clinic i Provincial, Barcelone, Espagne, dans une allocution qu’il a prononcée à la 7e Conférence internationale sur les nouvelles tendances en immunosuppression et en immunothérapie qui a eu lieu récemment à Berlin. De 10 à 30 ans après la greffe, un cancer apparaît chez 80 % des greffés, précise-t-il. Bien que la majeure partie de ces cancers soient des cancers de la peau, d’autres cancers – souvent mortels – touchent une proportion significative de greffés, note le Dr Campistol.

Par exemple, il est ressorti d’une étude australienne que, après 10 ans, environ 25 % des sujets d’une cohorte de greffés rénaux étaient morts d’un cancer (Penn I. Clin Transpl 1998;147-58). Il a aussi été rapporté que, par comparaison à l’ensemble de la population américaine, les greffés rénaux sont exposés à un risque 90 fois plus élevé de cancer de la peau non mélanique et à un risque six fois plus élevé de mélanome trois ans après la transplantation rénale (Kasiske et al. Am J Transplant 2004;4[6]:905-13). Le risque élevé de cancer dans la population des greffés rénaux est lié à l’état immunodéprimé résultant de l’insuffisance rénale et au besoin chronique d’immunosuppresseurs.

Certains immunosuppresseurs – surtout les inhibiteurs de la calcineurine (ICN) comme la cyclosporine (CsA) et le tacrolimus – pourraient aussi être dotés de propriétés qui favorisent l’apparition d’un cancer. Selon des données publiées récemment, il a été démontré, du moins de façon expérimentale, que ces deux agents accélèrent la croissance de la tumeur et l’apparition de métastases (Campistol et al. J Am Soc Nephrol 2006;17[2]:581-9). Dans le cadre d’autres études, des investigateurs ont observé un effet pronéoplasique de la CsA chez la souris, effet qu’ils ont attribué à la promotion de l’angiogenèse tumorale (Guba et al. Transplantation 2004;77[12]:1777-82). D’autres chercheurs ont avancé que le risque d’apparition de certains cancers dans un contexte d’immunosuppression par la CsA pourrait être exacerbé par d’autres facteurs de risque connus du cancer, dont les rayons ultraviolets (UV) (Marcil I, Stern RS. Lancet 2001;358[9287]:1042-5). Il importe de souligner que les cancers de la peau sont vraiment beaucoup plus fréquents chez les greffés australiens, qui sont exposés à des rayons UV intenses, que chez leurs homologues européens.

Les données ayant établi un lien entre le tacrolimus, un ICN, et le cancer sont considérablement plus restreintes que dans le cas de la CsA, mais les chercheurs font mention d’une incidence élevée de tumeurs chez les greffés du foie recevant le tacrolimus ou la CsA (Jonas et al. Cancer 1997;80:1141-50). Comme le soulignent Guba et al., le tacrolimus pourrait stimuler l’expression du facteur de croissance transformant (TGF) bêta 1, tout comme la CsA, et pourrait donc favoriser également l’apparition de métastases.

En revanche, le sirolimus, qui se lie à la protéine mTOR (mammalian target of rapamycin), semble stopper ou, à tout le moins, retarder les mêmes processus néoplasiques. Dans les recherches citées par Campistol et al., le sirolimus a semblé inhiber plusieurs enzymes qui jouent un rôle dans l’apparition et la progression de certains cancers. Des travaux expérimentaux chez la souris donnent aussi à penser que le sirolimus pourrait contrecarrer les effets de la CsA qui favorisent la tumeur. Dans une étude, la rapamycine a inhibé la croissance de la tumeur et l’apparition de métastases, tant en présence qu’en l’absence de CsA (Luan et al. Transplantation 2002;73[10]:1565-72).

L’effet antitumoral des inhibiteurs de la mTOR a été étayé par des observations tirées de la base de données de l’UNOS (United Network for Organ Sharing). En effet, ces données ont démontré que les inhibiteurs de la mTOR avaient réduit de 61 % le risque relatif d’un cancer de novo 963 jours après la greffe, peu importe qu’un ICN ait été administré en concomitance ou non (Kauffman et al. Transplantation 2005;80[7]:883-9). Selon la même analyse, les taux de tumeurs solides de novo se chiffraient à 0,47 % pour les schémas comportant un inhibiteur de la mTOR plus la CsA ou le tacrolimus vs 1,0 % pour les schémas à base de CsA ou de tacrolimus et sans inhibiteur de la mTOR. On ne sait pas encore avec certitude si le sirolimus peut prévenir les mutations qui mènent au cancer, mais on croit qu’il pourrait aider à prévenir la transformation des cellules en tumeurs malignes et la croissance éventuelle de ces dernières.

D’un point de vue clinique, l’utilisation d’un inhibiteur de la mTOR a un avantage clinique distinctif : les doses immunosuppressives efficaces coïncident avec les doses exerçant des effets anti-angiogéniques. Cette coïncidence heureuse permettrait de prévenir simultanément le rejet du greffon et le cancer, font remarquer Guba et al.; elle donne aussi à penser que l’utilisation de la rapamycine ou de ses analogues, à tout le moins à des concentrations sériques thérapeutiques, pourrait réduire le risque élevé de cancer chez les greffés d’organes. Cela dit, cette observation pourrait ne pas être vraie si des doses plus fortes étaient nécessaires.

INCIDENCE PLUS FAIBLE DE CANCER

La possibilité que le sirolimus puisse diminuer l’incidence du cancer après une transplantation rénale a été mise en évidence cliniquement dans les études citées par Guba et al. qui ont été présentées à l’American Transplant Congress de 2002 (résumé 58). Lors de l’une de ces études, une néoplasie est apparue deux ans après la greffe chez 5 % des patients qui recevaient la CsA vs 0 % des patients qui recevaient le sirolimus. Les résultats d’une étude monocentrique préalable, également citée par Guba et al., n’ont fait état d’aucun cancer chez les patients qui avaient reçu un schéma à base de sirolimus et sans ICN après une greffe du rein, par comparaison à 12 cancers chez ceux qui avaient reçu un schéma à base d’un ICN (Campistol et al. American Transplant Congress, 2002, résumé 1013). Comme le notent les chercheurs, ces données – qui ont été recueillies pendant une période pouvant aller jusqu’à cinq ans après la greffe – sont compatibles avec les données d’un suivi de 10 ans de greffés rénaux, suivi duquel est ressortie une faible incidence globale de cancer, y compris l’incidence du cancer de la peau, soit 1,9 % des patients recevant la CsA et le sirolimus (Kahan et al. Transplant Proc 2003; 35[3 suppl]:25S-34S).

Guba et al. ont conclu que les études menées à ce jour semblent faire ressortir un «effet bénéfique potentiel» de l’inhibition de la mTOR sur l’apparition d’un cancer chez les greffés. Les auteurs insistent toutefois sur le fait que des études cliniques à plus long terme s’imposent avant que l’on puisse tirer des conclusions solides.

ÉVALUATION D’UN SCHÉMA D’ENTRETIEN

Il semble que l’essai Rapamune Maintenance Regimen Trial ait ajouté du poids aux observations préalables selon lesquelles l’inhibition de la mTOR réduirait le risque de cancer chez les greffés rénaux. Selon l’analyse actuelle des données à cinq ans sur le cancer, l’utilisation d’un schéma immunosuppresseur à base de sirolimus et sans CsA a été associée à une incidence significativement plus faible de cancers de la peau et d’autres cancers par rapport à un schéma à base de CsA (Campistol et al. J Am Soc Nephrol 2006;17[2]:581-9).

Pendant cet essai, la CsA a été retirée trois mois après la greffe du rein. Ce traitement initial a été suivi d’un traitement d’entretien par le sirolimus à concentrations contrôlées. Les résultats obtenus chez ces patients ont été comparés aux résultats obtenus chez les patients qui continuaient à recevoir la CsA plus le sirolimus. Les auteurs soulignent que les deux groupes de traitement ont reçu le sirolimus; la seule différence entre les deux groupes était que les patients du groupe CsA/sirolimus recevaient des doses standard ou presque de CsA, alors que les patients chez qui l’administration de CsA a été arrêtée après les trois premiers mois avaient des concentrations minimales de sirolimus environ deux fois plus élevées que les patients du groupe de comparaison.

Les investigateurs ont calculé l’incidence des cancers de la peau et des autres cancers chez les patients sous traitement et selon une analyse en intention de traiter (IT). L’analyse de l’incidence du cancer chez les patients sous traitement a révélé que le taux annualisé moyen de cancer de la peau était significativement plus faible (p<0,001) dans le groupe sirolimus que dans le groupe sirolimus/CsA. Le délai médian d’apparition du premier événement était aussi significativement plus long (1248,5 jours) dans le groupe sirolimus que dans le groupe sirolimus/CsA (401,5 jours) (p=0,021). Selon l’analyse en IT, le délai médian d’apparition d’un événement chez les patients qui ont manifesté un cancer de la peau était de 1126 jours dans le groupe sirolimus vs 491 jours dans le groupe sirolimus/CsA (p=0,007).

Le risque relatif d’apparition d’un cancer de la peau était aussi 64 % plus faible dans le groupe sirolimus que dans l’autre groupe, toujours selon l’analyse en IT (p<0,001). Selon les deux analyses, le risque relatif d’apparition d’un carcinome spinocellulaire (CSC) était significativement plus élevé dans le groupe sirolimus/CsA que dans le groupe sirolimus seul, tout comme l’incidence du carcinome basocellulaire (CBC) selon l’analyse en IT. Tant selon l’analyse des patients sous traitement que selon l’analyse en IT, le délai médian d’apparition d’un premier événement chez les patients ayant manifesté un CBC était aussi significativement plus court dans le groupe traitement d’association.

Comme le notent les auteurs, le schéma sans ICN a eu également des «retombées favorables» sur le taux annualisé moyen de CBC et de CSC, et a prolongé de façon marquée le délai médian d’apparition d’un CBC. Selon l’analyse réalisée chez les patients sous traitement, le taux annualisé moyen de cancer (nombre d’événements pour 1000 patients par année) se chiffrait à 151,6 dans le groupe schéma avec CsA vs 22,1 dans le groupe sirolimus, alors que les résultats correspondants selon l’analyse en IT étaient de 107,7 dans le groupe schéma avec CsA vs 35,8 dans le groupe sirolimus. Fait digne de mention, un mélanome a été signalé chez un seul patient de chaque groupe.

AUTRES CANCERS

Au sein de la même cohorte, les cancers autres que le cancer de la peau étaient les suivants : poumon, larynx, oropharynx, rein, appareil digestif, prostate, sein, thyroïde et col utérin. Des cas de leucémie, de lymphome et d’autres cancers plus rares ont aussi été signalés. Selon l’analyse en IT, les chercheurs ont observé une différence significative en faveur du groupe sirolimus quant à l’incidence des cancers autres que le cancer de la peau : 3,7 % dans le groupe sirolimus vs 8,4 % dans le groupe traitement d’association (p=0,043). Selon l’analyse effectuée chez les patients sous traitement, la différence entre les deux groupes n’a pas atteint le seuil de signification statistique. Sept patients sont morts des suites de leur cancer au cours du suivi : cinq dans le groupe sirolimus/CsA vs deux dans le groupe sirolimus seul. Comme le précisent Campistol et al., plus de la moitié des patients du groupe sirolimus seul ont reçu le traitement pendant cinq ans vs environ 10 % des patients du groupe schéma avec CsA.

AUTRES SCHÉMAS IMMUNOSUPPRESSEURS

À l’heure actuelle, le lien entre d’autres molécules utilisées dans les schémas immunosuppresseurs et le cancer est beaucoup moins clair. Selon une étude citée par Guba et al., on a observé une incidence accrue du sarcome de Kaposi chez des patients qui recevaient une corticothérapie chronique (Trattner et al. Cancer 1993; 72[5]:1779-83). Cependant, l’effet d’une corticothérapie seule sur l’apparition d’un cancer chez les greffés est difficile à évaluer, soulignent Guba et al., d’autant plus que les stéroïdes sont maintenant utilisés en grande partie comme complément aux stratégies anti-rejet.

On pourrait dire de même de l’azathioprine (AZA). Avant la commercialisation de la CsA, l’AZA servait au traitement des maladies auto-immunes; à cette époque, on a commencé à signaler des cas de cancer, surtout de lymphome, liés à l’AZA. Cela dit, de préciser Guba et al., l’AZA est maintenant utilisée de façon beaucoup moins intensive, et son effet direct sur l’apparition d’une tumeur est, là encore, difficile à évaluer. La littérature donne à penser que le mycophénolate mofétil (MMF) pourrait en fait être doté de certaines propriétés antinéoplasiques, de poursuivre Guba et al. Il a été démontré que cet agent peut également inhiber certaines lignées de cellules malignes. Plusieurs bases de données, dont celles de l’UNOS et de la Collaborative Transplant Study, semblent indiquer que le MMF est associé à une réduction «légère, mais significative» du nombre de cancers de novo. On ne fait toutefois que commencer à explorer la possibilité d’effets anticancéreux éventuels du MMF, de conclure Guba et al.

RETOMBÉES CLINIQUES

L’essai Rapamune Maintenance Regimen Trial est la première étude clinique d’envergure à utiliser l’apparition d’un cancer comme paramètre et peut donc être considéré comme un essai marquant. De plus, c’était une étude prospective, et les événements ont été consignés minutieusement. Nous avons donc maintenant une meilleure idée de l’incidence réelle du cancer chez les patients greffés. Il importe cependant de reconnaître que l’incidence globale du cancer était faible au sein de la cohorte et que plusieurs facteurs statistiques compliquent l’interprétation des résultats.

Selon l’analyse des patients sous traitement, la différence entre les patients ayant manifesté un cancer dans le groupe sirolimus/CsA (16 patients) et ceux du groupe sirolimus (huit patients) n’a pas atteint le seuil de signification statistique, mais le nombre de cancers dans le groupe recevant la CsA (80) était significativement plus élevé que le nombre de cancers dans le groupe sirolimus (24). Il semble que les données de cette étude soient assez probantes pour que l’on puisse recommander un schéma sans CsA à tous les patients greffés afin de réduire leur risque de cancer. Étant donné qu’un schéma à base de sirolimus ne compromet pas l’efficacité de l’immunosuppression, il semble logique d’envisager un schéma qui pourrait comporter un risque moindre de cancer et qui, espérons-le, permettra aux patients greffés de conserver un greffon fonctionnel et de jouir d’une bonne qualité de vie plus longtemps.

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