Comptes rendus

Schémas Immunosuppresseurs et risque de Cancer : Les traitements anti-rejet sont-ils tous pareils?
Actualisation des lignes directrices sur le traitement de l’infection à VIH/SIDA : perspectives d’avenir pour les patients ayant un passé thérapeutique

Survie prolongée, toxicité accrue : un paradoxe dans l’infection à VIH

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

Le VIIIe Congrès international sur la pharmacothérapie de l’infection à VIH

Glasgow, Royaume-Uni / 12-16 novembre 2006

«L’administration d’antirétroviraux [ARV] pendant des dizaines d’années contribue assurément à un éventail vaste et complexe de troubles métaboliques, dont la pénible lipodystrophie, l’accumulation de graisse, l’insuffisance rénale, les maladies cardiovasculaires et/ou osseuses», affirme le Dr Frank Post, King’s College Hospital, Londres, Royaume-Uni. «Chaque année additionnelle d’administration d’un schéma HAART est associée à une augmentation du risque qui n’est peut-être pas complètement ou facilement réversible.»

La lipoatrophie – qui toucherait jusqu’à 75 % des patients – a une incidence de sept ou huit pour 100 années-patients. L’accumulation de graisse a une incidence de neuf pour 100 années-patients, et les schémas HAART constituent généralement un facteur de risque de ce trouble.

«L’administration d’un inhibiteur non nucléosidique de la transcriptase inverse [INNTI] ou d’un inhibiteur de la protéase [IP] est associée à une probabilité d’hypercholestérolémie chez environ 25 % des patients et d’hypertriglycéridémie chez 40 % à 50 % des patients, enchaîne le Dr Post. Si le patient présente déjà une anomalie liée à la graisse corporelle, celle-ci s’en trouve exacerbée en présence d’hypertriglycéridémie, qui touche près de 60 % des patients, et en présence d’un bilan lipidique de mauvais pronostic, qui touche 50 % des patients. Dans l’étude 2NN, chez environ 25 % des patients qui avaient reçu d’emblée l’éfavirenz ou la névirapine, on a observé une augmentation significative des taux de cholestérol total, de C-LDL et de triglycérides presque immédiatement après le début du traitement. De même, chez environ 25 % des patients qui reçoivent le lopinavir/ritonavir [lopinavir/r], les taux de cholestérol ou de triglycérides augmentent. Il importe d’éviter certains ARV ou de changer d’ARV pour prévenir ces complications.»

Soulignant l’importance du choix minutieux des ARV, le Dr Post précise que l’abacavir (ABC) et le ténofovir (TDF), deux inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase inverse (INTI), sont associés à une fréquence moindre de lipoatrophie et à un bilan lipidique plus sain que les analogues de la thymidine. Néanmoins, si les patients passent au TDF ou à l’ABC lorsque la lipoatrophie est déjà présente, la graisse perdue n’est parfois recouvrée qu’après de nombreuses années. L’ABC a peu de conséquences métaboliques, alors que la stavudine, par exemple, entraîne une augmentation de la glycémie et de l’insulinémie et une résistance à l’insuline. Le TDF et l’indinavir sont associés à des lésions rénales spécifiques, et le TDF pourrait aussi entraîner une déminéralisation osseuse et une hypophosphatémie.

Maladies osseuses et néphrotoxicité

Selon des études préliminaires, l’ostéopénie et l’ostéoporose découleraient de l’administration d’un IP, car les IP suppriment l’activité 1-a-25 hydroxylase et interfèrent donc avec le métabolisme de la vitamine D, explique le Dr Post. Ils pourraient aussi stimuler l’activité des ostéoclastes et inhiber le recrutement des ostéoblastes. Certains INTI, dont la zidovudine et le TDF, pourraient compromettre la fonction osseuse. L’infection à VIH avancée constitue elle-même un facteur de risque des maladies osseuses. «Il est crucial de réduire au minimum la toxicité à long terme dès le début du traitement ARV. Nous devons penser aux stratégies d’intervention dès le départ», conclut-il.

Compte tenu de la néphrotoxicité souvent associée au TDF, les chercheurs ont comparé, sur le plan de la toxicité, cet agent et l’ABC administrés dans une trithérapie à base d’IP ou d’INNTI. Les réponses de la charge virale et des cellules CD4+ étaient similaires, mais le TDF a augmenté le taux de créatinine et a diminué le taux de filtration glomérulaire (TFG), quoique la différence ait été minime, souligne le Dr Brian Gazzard, médecin consultant et directeur de la recherche, département de la médecine du VIH et des troubles génito-urinaires, Chelsea and Westminster Hospital, Londres, Royaume-Uni. Le taux de créatinine était >97 µmol/L chez 121 patients du groupe TDF, soit 31 pour 100 années-personnes, et chez 94 patients du groupe ABC, soit 20 pour 100 années-personnes. L’incidence d’un TFG <91 mL/min/1,73 m² chez l’homme et <88 chez la femme était de 176 pour 211 années-personnes (taux=83) dans le groupe TDF et de 126 pour 236 années-personnes dans le groupe ABC (taux=53). Des résultats similaires ont été enregistrés chez les patients qui n’avaient jamais été traités. Six patients du groupe TDF et cinq du groupe ABC avaient un TFG <60 mL/min/1,73 m².

Lors d’une autre étude, parmi 14 patients dont la créatininémie était normale avant le traitement par le TDF, 11 ont manifesté une insuffisance rénale après le début du traitement, et celle-ci s’est résorbée en partie à l’arrêt du traitement, précise une co-investigatrice, la Dre Clare Davies, Royal Free Hospital, Londres, Royaume-Uni. Sept patients souffraient d’un syndrome de Fanconi avéré; quatre d’entre eux avaient une dysfonction tubulaire proximale généralisée et trois, des lésions tubulaires proximales confirmées par une biopsie du rein. La néphrotoxicité demeure une préoccupation dans le traitement de l’infection à VIH par le TDF, conclut-elle. «Notre étude semble indiquer que la toxicité tubulaire proximale est le mécanisme sous-jacent.»

Profil génétique de l’hôte et hypersensibilité

Dans l’infection à VIH, la pharmacogénomique permet de mieux comprendre les retombées des variants génétiques sur la réponse aux médicaments, la prédisposition à la toxicité des agents anti-VIH et la probabilité de réponse virologique, observe le Dr David Haas, Vanderbilt University, Nashville, Tennessee. De nombreux variants génétiques influent sur la pharmacocinétique, l’efficacité et/ou la toxicité des INTI, des INNTI et des IP. La réaction d’hypersensibilité (RHS) à l’ABC est un parfait exemple de réaction à médiation immunitaire d’origine génétique.

La présence de l’haplotype HLA-B*5701 est le principal facteur de risque de la RHS à l’ABC. En évitant l’exposition à l’ABC des adultes porteurs de cet allèle mis en évidence par des tests génétiques, on a réussi à diminuer radicalement l’incidence de la RHS à l’ABC, comme l’ont montré des études menées en Australie et au Royaume-Uni. La RHS survient aussi chez des patients non porteurs du HLA-B*5701, mais son incidence n’est que de 2 % à 3 %.

Depuis l’avènement du dépistage génétique prospectif pour identifier les patients ne devant pas être exposés à l’ABC, les véritables RHS à médiation immunitaire ont été éliminées, explique le Dr Simon Mallal, Royal Perth Hospital, Australie. L’incidence de la RHS a donc baissé radicalement, tout comme le surdiagnostic. La diminution du nombre de faux positifs – qui nous a surpris – montre que le dépistage génétique a aussi permis d’améliorer la précision phénotypique. On peut donc avoir recours au dépistage génétique prospectif pour prévenir les RHS, dit-il.

La Dre Laura Waters, Chelsea and Westminster Hospital, a décrit l’évaluation par son groupe de l’utilité clinique du dépistage clinique systématique pour diminuer la fréquence de la RHS à l’ABC chez 739 patients infectés par le VIH qui recevaient un traitement pour la première fois ou qui étaient déjà traités et chez qui on envisageait de passer à l’ABC.

L’allèle HLA-B*5701 était présent chez 54 patients (7,3 %); de ces patients, 14 ne sont toujours pas traités. Huit des 40 patients restants avaient déjà été exposés à l’ABC avant le test de dépistage du HLA : six avaient eu des symptômes évocateurs d’une RHS et les deux autres – qui avaient reçu l’ABC pendant six semaines et cinq ans, respectivement – n’avaient montré aucun signe d’intolérance. Des 564 patients qui ont commencé à être traités ou l’étaient déjà, 224 ont reçu l’ABC; 23 ont cessé de recevoir leur traitement et sept de ces patients ont eu un résultat positif au test de dépistage du HLA-B*5701. Quatre des 16 patients dont les résultats du test étaient négatifs ont manifesté des symptômes évocateurs d’une RHS : trois patients ont subi un test épicutané et l’un d’eux a eu une réaction positive, rapporte la Dre Waters. Les 12 autres patients ont eu des symptômes non spécifiques ou des symptômes jugés sans lien avec la RHS. Le taux d’abandon secondaire aux RHS typiques a été de 4 sur 224 (1,8 %).

Dans son établissement, explique la Dre Waters, le taux d’abandon global se chiffrait à 7,5 % avant l’avènement du test de dépistage du HLA-B*5701, mais il a chuté à 3 % après l’introduction du test. Pourtant, quatre patients ont dû cesser de prendre l’ABC en raison d’une RHS possible, et l’un d’eux a eu une réaction positive au test épicutané et des symptômes généralisés. Ces données soulignent l’importance de la vigilance clinique malgré un résultat négatif au test, conclut-elle.

Observations de l’étude KLEAN

«Idéalement, le clinicien choisirait un schéma d’après les résultats d’essais comparatifs et randomisés et les preuves subséquentes de la durabilité de l’effet. Or, les données comparatives véritables sont très récentes, affirme le Dr Michael Youle, directeur de la recherche sur le VIH, Royal Free Hospital, Londres, Royaume-Uni. Par exemple, l’étude KLEAN [Kaletra vs. Lexiva with Epivir and Abacavir in ART-Naive Patients] de 48 semaines – dont les résultats ont été publiés cette année – a été la première étude randomisée à comparer directement deux IP potentialisés administrés en concomitance avec l’association ABC/lamivudine (3TC) à doses fixes comme traitement de fond chez des patients infectés par le VIH qui n’avaient jamais été traités.»

Lors de l’étude KLEAN, le lopinavir/r 2 fois par jour (f.p.j.) (recommandé par la plupart des lignes directrices en raison de sa supériorité vs le nelfinavir) a été comparé au fosamprénavir/r 2 f.p.j., tous deux en concomitance avec l’association ABC/3TC à doses fixes. Il n’y a eu aucune différence entre les deux groupes, précise le Dr Youle. Les taux d’inobservance et d’abandon étaient les mêmes, et il n’y avait aucune différence significative entre les deux groupes principaux à 48 semaines. Une charge virale <400 copies/mL a été atteinte chez 73 % des sujets du groupe fosamprénavir/r et 71 % de ceux du groupe lopinavir/r, et une charge virale <50 copies/mL, chez un peu moins de patients (environ 66 %).

«Les données sont incroyables pour les deux agents, ce qui nous fait dire que c’est une bonne option en première intention, dit le Dr Youle. Pour autant qu’ils prennent leur traitement, la quasi-totalité des patients répondent bien. Très peu de sujets ont eu un échec virologique tel que défini par le protocole, et les chercheurs n’ont observé ni mutation majeure associée aux IP ni diminution de la sensibilité phénotypique à l’un ou l’autre IP. Les deux schémas ont été bien tolérés.» Le fosamprénavir/r 1 f.p.j. est une solution de rechange à l’atazanavir/r 1 f.p.j. chez les patients qui ne veulent pas s’exposer au risque d’hyperbilirubinémie, comme l’a montré l’étude ALERT, qui comparait ces agents avec divers traitements de fond. Leur efficacité est par ailleurs comparable, de conclure le Dr Youle.

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