Comptes rendus

Faits saillants du congrès de l’ASBMR de 2010
Nouvelles données sur l’inhibition plaquettaire optimale dans le syndrome coronarien aigu

Selone des données Canadiennes, une légère dysfonction érectiles est souvent un signe précoce de maladie vasculaire

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

PERSPECTIVE PROFESSSIONNELLE - Point de vue sur les articles suivants : BJU Int 15 oct 2010; publié en ligne avant impression, J Sex Med 2010;7(11):3725-35.

Novembre 2010

Sous la direction de

Serge Carrier, MD, FRCSC

Directeur, Programme de formation des résidents en urologie, Professeur agrégé de chirurgie (urologie), Université McGill , Montréal (Québec)

La dysfonction érectile (DÉ) est répandue. Dans une étude transversale menée au Canada chez des hommes de plus de 40 ans (âge moyen de 57 ans) qui consultaient leur médecin de premier recours, 49,4 % répondaient aux critères diagnostiques de DÉ (Grover et al. Arch Intern Med 2006;166:213-9). Cette prévalence de DÉ toutes sévérités confondues concorde avec les résultats d’études similaires réalisées aux États-Unis et en Europe (Feldman et al. J Urol 1994;151:54-61; Koskimaki et al. J Urol 2000;164:367-70). Dans l’étude transversale canadienne, environ 10 % des sujets aux prises avec une DÉ avaient une atteinte légère à en juger par leur score au questionnaire d’autoévaluation IIEF (International Index of Erectile Function), l’une des méthodes les plus utilisées pour la détermination de la sévérité relative de la DÉ (Miller TA. Am Fam Physician 2000;61:95-104). Même si la DÉ légère se définit par une dysfonction sexuelle qui n’est qu’intermittente, elle n’est pas bénigne pour autant. Les données de l’étude semblent indiquer que même une légère dysfonction sexuelle peut être une source de détresse qui nuit au bien-être et à l’estime de soi et qui mine la qualité de vie.

Dé et maladie vasculaire

Dans la longue liste des causes possibles de DÉ, une maladie vasculaire seule ou associée à un autre trouble tel que l’anxiété ou la dépression est présente dans environ 70-80 % des cas (Chiurlia et al. J Am Coll Cardiol 2005;46:1503-6). De nombreux hommes aux prises avec une DÉ ont déjà reçu un diagnostic de maladie coronarienne (Feldman et al. J Urol 1994;151:54-61), mais il arrive aussi qu’une DÉ soit le premier signe de maladie vasculaire (Kaiser et al. J Am Coll Cardiol 2004;43:179-84). La DÉ et les maladies vasculaires sont liées d’autant plus étroitement qu’elles ont des facteurs de risque en commun, dont l’hypertension, le tabagisme et le diabète (Cheitlen MD. J Am Coll Cardiol 2004;43:185-86). En outre, la sévérité de la DÉ et celle des maladies cardiovasculaires (CV) sont corrélées (Greenstein et al. Int J Impot Res 1997;9:123-6). Fait peut-être encore plus important, il a été démontré qu’une DÉ était un prédicteur d’événement CV (Schouten et al. Int J Impot Res 2008;20:92-9).

L’efficacité des inhibiteurs de la phosphodiestérase de type 5 (PDE5) dans le traitement de la DÉ modérée ou sévère a été bien démontrée grâce à de multiples essais cliniques d’envergure et à l’expérience clinique avec plusieurs agents de cette classe. Lors d’un essai pivot de phase III sur le sildénafil, le premier et le plus utilisé des inhibiteurs de la PDE5, le nombre de relations sexuelles avec pénétration était 2 à 3 fois plus élevé que dans le groupe placebo, et l’écart entre les deux groupes était hautement significatif sur le plan statistique (p<0,001) (Goldstein et al. N Engl J Med 1998;338:1397-404). Ces résultats et ceux des essais subséquents ont contribué à tourner les regards vers le problème de la DÉ et à inciter un nombre croissant d’hommes à en parler spontanément à leur médecin.

La plupart des essais cliniques sur la DÉ regroupaient principalement des hommes ayant des symptômes modérés ou sévères, le besoin de traitement étant alors vraisemblablement plus impérieux et les chances de confirmer un effet du traitement, meilleures. Cela dit, l’évolution de la DÉ s’inscrit dans un continuum de sévérité, que la DÉ soit mesurée par des critères objectifs comme l’aptitude à avoir une érection suffisante pour parvenir à la pénétration ou la fréquence des relations sexuelles avec pénétration, ou par des critères plus subjectifs, telle la satisfaction du patient à l’égard de sa performance sexuelle.

Plusieurs facteurs sous-tendent l’hypothèse voulant que la DÉ légère, à l’instar de la DÉ plus sévère, représente un problème clinique important. Même si les symptômes de la DÉ sont intermittents, il est raisonnable de penser que l’anxiété générée par une fonction sexuelle capricieuse puisse se solder par une détresse importante. De plus, les mêmes facteurs, quoique moins sévères, sont probablement en cause dans la DÉ légère. C’est donc dire que la DÉ légère pourrait être un signe précoce des mêmes maladies vasculaires à l’origine d’une DÉ plus sévère.

L’importance d’une DÉ légère en tant que problème clinique nuisant au bien-être du patient et en tant que signal d’une maladie sous-jacente a récemment été évaluée dans le cadre de deux essais connexes dont les résultats ont été publiés séparément. L’un d’eux visait à évaluer l’impact du sildénafil, inhibiteur de la PDE5, chez des patients aux prises avec une DÉ légère. L’autre essai visait à comparer l’incidence de la comorbidité chez des patients atteints d’une DÉ légère avec celle de sujets d’études antérieures dont la DÉ était plus sévère. Ensemble, ces deux essais étayent l’hypothèse voulant que la DÉ légère soit une entité clinique importante dont le dépistage actif pourrait contribuer à améliorer la qualité de vie et permettre de cerner les patients atteints de maladies vasculaires sous-jacentes qui devraient être traitées.

Résultats d’études sur la dé légère

L’essai à double insu avec randomisation de Bénard et al. (J Sex Med 2010;7[11]:3725-35) a été le premier à n’admettre que des patients aux prises avec une DÉ légère telle que définie à l’aide d’une échelle validée, plus précisément par un score IIEF-EF de 22 à 25. Chez la majorité des 176 sujets recrutés, la DÉ avait une cause organique, c’est-à-dire vasculaire, neurologique ou hormonale, quoiqu’il y ait eu plusieurs causes dans une proportion élevée de cas, ce qui laisse supposer une maladie organique à composante psychogène. Les patients ont été randomisés de façon à recevoir soit 50 mg de sildénafil, avec possibilité de ramener la dose à 25 mg ou de l’augmenter jusqu’à 100 mg, soit un placebo. Le volet à double insu de 8 semaines était suivi d’un volet ouvert de 6 semaines.

Comme ce fut le cas dans les études pivots qui ont établi l’efficacité des inhibiteurs de la PDE5 dans la DÉ modérée ou sévère, le sildénafil a été associé à une amélioration des critères objectifs et subjectifs par rapport au placebo. Selon le paramètre principal, le score EDITS (Erectile Dysfunction Inventory of Treatment Satisfaction), l’écart moyen de 18,2 points (80,3 vs 62,1) entre les deux groupes était hautement significatif sur le plan statistique (p<0,0001). Le traitement a globalement donné satisfaction à 89 % des sujets sous traitement actif vs 63 % (p=0,0001) des sujets sous placebo (Figure 1). La proportion de patients dont la fonction érectile était normale selon le score IIEF-EF (>25) au terme de l’étude s’élevait à 58 % dans le groupe sildénafil vs 39 % dans le groupe placebo (p<0,05).

Figure 1. Satisfaction à l’égard du traitement


La supériorité de l’inhibiteur de la PDE5 sur le placebo était aussi évidente selon divers paramètres secondaires, notamment le score au questionnaire QEQ (Quality of Erection Questionnaire) et le score EHS (Erection Hardness Score). La proportion de patients atteignant le score EHS maximal de 4 se chiffrait à 47,2 % dans le groupe sildénafil vs 25,2 % dans le groupe placebo (p<0,0001). La probabilité de relation sexuelle avec pénétration était au-delà de 4,9 fois plus élevé dans le groupe de traitement actif que dans le groupe placebo. Durant la phase de prolongation ouverte, tous les résultats se sont améliorés chez les patients sous inhibiteur de la PDE5. Par exemple, la proportion de patients chez qui la fonction érectile était normale en fin d’étude selon le score IIEF-EF est passée à 77 % et la proportion de patients satisfaits de leur traitement, à 93 %.

Les avantages substantiels de l’inhibiteur de la PDE5 par rapport au placebo dans la DÉ légère confirment que le traitement exerce un effet important. Par ailleurs, autre aspect non négligeable, l’amélioration marquée de divers paramètres cliniques donne à penser que la DÉ non traitée est une grande source d’insatisfaction pour le patient. Des effets indésirables légers ou modérés, comme les céphalées, la congestion nasale et les bouffées vasomotrices, ont été rapportés chez une minorité de patients et ne différaient pas des effets indésirables signalés lors des essais cliniques antérieurs. Dans l’ensemble, les bénéfices associés au traitement montrent que nous avons vraiment intérêt à diagnostiquer et à traiter la DÉ légère pour le mieux-être du patient.

La dé légère, un signe précoce de maladie vasculaire

Une étude distincte, quoique connexe, de Lee et al. (BJU Int 15 oct 2010; publié en ligne avant impression) a confirmé que la DÉ légère était un signe précoce important de maladie vasculaire. Voilà une autre raison, peut-être tout aussi importante, de la dépister activement. Lors de cette étude, le profil démographique et les affections concomitantes des 176 participants ont été comparés à ceux de sujets aux prises avec une DÉ plus sévère qui avaient participé à des études antérieures à double insu sur le sildénafil dans la DÉ. Ce groupe de comparaison réunissait 14 537 sujets de 67 études. Bien que de nombreuses affections concomitantes aient été moins fréquentes dans le groupe DÉ légère, les résultats étayent la conclusion selon laquelle une DÉ légère pourrait ouvrir la porte à un diagnostic plus précoce.

Plus précisément, la comparaison des deux groupes a objectivé chez les sujets aux prises avec une DÉ légère des taux plus faibles d’hyperlipidémie (7,1 % vs 11,3 %), d’hypertension (26,1 % vs 32,8 %) et de diabète (13,6 % vs 22,1 %) (Figure 2). Comme les sujets du groupe DÉ légère étaient plus jeunes (en moyenne, 50 ans vs 55 ans), il y a tout lieu de croire qu’ils pourraient être à un stade plus précoce du même continuum sur le plan de la comorbidité. L’indice de masse corporelle était presque le même (29 vs 28 kg/m2) alors que le taux de dyslipidémies était en fait plus élevé dans le groupe DÉ légère (5,1 % vs 0,4 %). Les taux d’autres affections concomitantes, comme la dépression (6,3 % vs 5,6 %) et l’hypertrophie bénigne de la prostate (9,7 % vs 9,9 %), étaient similaires.

Figure 2. Taux d’affections
acteurs de risque CV

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En comparant le groupe DÉ légère avec les répondants du sondage pancanadien, l’étude a de nouveau montré que la DÉ légère était un signe d’importantes affections concomitantes et de facteurs de risque CV. Les résultats sont venus confirmer l’hypothèse voulant que le dépistage d’une DÉ légère puisse alerter les médecins quant à la possibilité d’affections concomitantes et de facteurs de risque CV. Ainsi, au sein du groupe DÉ légère, les chercheurs ont noté une prévalence plus élevée d’hypertension (26,1 % vs 17,9 %) et de tabagisme (27,8 % vs 19,8 %). La prévalence du diabète (13,6 % vs 6,7 %) et celle de l’obésité (33,5 % vs 16,4 %) étaient environ deux fois plus élevées dans le groupe DÉ légère que chez les hommes non sélectionnés.

Conséquences pour la pratique clinique

À en juger par les résultats de ces études, la DÉ légère est une entité clinique importante que l’on doit reconnaître et traiter, et ce constat ouvre la porte à de possibles retombées positives sur deux plans. D’une part, un inhibiteur de la PDE5 peut atténuer, voire éliminer les symptômes de la DÉ légère chez une vaste proportion de patients. D’autre part, la présence d’une DÉ légère peut aider à cerner les hommes présentant des facteurs de risque CV qui auraient intérêt à être traités. Des stratégies formelles de dépistage ont leur place.

Vu l’étroite corrélation entre la DÉ légère et les facteurs de risque CV, la présence de l’un devrait faire rechercher celle de l’autre, et vice versa. Plus précisément, la présence d’une hypertension, d’une hyperlipidémie, d’un diabète, d’un syndrome métabolique ou d’autres facteurs de risque CV chez un homme d’âge moyen devraient motiver le dépistage d’une DÉ légère. Chez les fumeurs, le risque de DÉ est une excellente raison d’amorcer un programme de renoncement au tabac, sans compter que le risque CV s’en trouvera aussi diminué. Inversement, un examen minutieux des facteurs de risque CV est approprié chez les patients ayant des antécédents de DÉ, même légère.

L’évaluation de la fonction sexuelle ne doit pas être réservée à ceux qui se plaignent spontanément d’une DÉ. Des questions sur la fonction sexuelle devraient plutôt faire partie de l’anamnèse usuelle en raison du lien entre la fonction sexuelle et le plaisir de vivre ainsi que du lien entre la fonction sexuelle et les pathologies sous-jacentes, notamment de nature urologique, psychologique ou CV. Une méthodologie formelle pour l’évaluation de la fonction sexuelle, comme le questionnaire d’autoévaluation IIEF, devrait être réservée aux explorations cliniques approfondies chez les patients ayant déjà rapporté une dysfonction sexuelle, mais nous devons néanmoins poser au patient des questions qui lui donnent la possibilité de signaler ne serait-ce qu’une DÉ légère.

L’essai de Bénard et al., premier essai rigoureux à évaluer un inhibiteur de la PDE5 dans la DÉ légère, valide les bénéfices du traitement, mais il encourage aussi les cliniciens à reconnaître le lien entre la DÉ et les maladies vasculaires. Bien que tous les patients atteints d’une maladie vasculaire ne soient pas aux prises avec une DÉ, et vice versa, la DÉ légère, comme les formes plus sévères, signale une probabilité accrue de facteurs de risque CV qui se traitent. La présence de l’un ou l’autre devrait nous amener à explorer la possibilité des deux diagnostics.

Résumé

L’étude publiée récemment sur le sildénafil montre que même de légers symptômes de DÉ peuvent menacer le bien-être du patient et que la DÉ légère, tout comme les formes plus sévères, pourrait être un signe de maladie vasculaire sous-jacente. Le terme «DÉ légère» est d’apparence trompeuse. En effet, bien que le qualificatif «légère» puisse être approprié pour décrire cette dysfonction sexuelle relative, il implique qu’elle ne requiert pas autant d’attention que les formes plus sévères. Or, les données récentes pourraient nous inciter à penser le contraire puisque la DÉ légère, au même titre que les formes plus sévères, semble bien répondre au traitement, améliorer grandement la satisfaction du patient et dénoter la présence éventuelle de maladies CV.

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