Comptes rendus

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Statines : Les données à long terme sur les agents les plus puissants calment les inquiétudes

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

FRONTIÈRES MÉDICALES - Compte rendu de revues scientifiques avec comité de lecture

Mai 2011

Les statines figurent au nombre des médicaments les plus prescrits, toutes classes confondues. Leur grande efficacité pour la réduction du risque d’événements cardiovasculaires (CV) a été mise en lumière par une série d’essais multinationaux et d’essais phares, lesquels constituent l’assise des recommandations pour la prévention des infarctus du myocarde (IM), des accidents vasculaires cérébraux (AVC) et d’autres complications de l’athérosclérose engageant le pronostic vital. Bien tolérées et assorties d’un profil d’innocuité acceptable, les statines peuvent néanmoins causer des lésions graves et imprévisibles aux muscles, au foie et aux reins. Cependant, comme le confirment des données récentes, il est peu probable que ces risques – rarement concrétisés – soient associés à certaines statines plus qu’à d’autres.

La plus révélatrice de ces études récentes s’appuie sur un suivi totalisant près de 200 000 années-personnes. Parue dans Pharmacoepidemiol Drug Saf (García Rodríguez et al. 2010;19:1218-24), l’étude a été menée à l’aide de bases de données provenant des pays suivants : Canada (Saskatchewan Health Database), États-Unis (Ingenix Research Database), Pays-Bas (PHARMO Database) et Royaume-Uni (General Practice Research Database). Les chercheurs souhaitaient préciser les estimations relatives à l’innocuité de la rosuvastatine comparativement à celles d'autres statines, mais ils ont pu, par la même occasion, vérifier l’existence d’un lien entre la puissance relative des statines et le risque de myopathie, de rhabdomyolyse ainsi que d’insuffisance rénale et hépatique aiguës. Ils ont comparé la rosuvastatine – statine qui, milligramme pour milligramme, abaisse le plus le C-LDL – à toutes les autres statines.

 

Aucun lien entre l’efficacité de la statine et le risque

 

Calculée par tranche de 10 000 années-patients, l’incidence de l’insuffisance rénale aiguë était de 4,14 (IC à 95 % : 2,39-7,15) pour la rosuvastatine, contre 4,36 (IC à 95 % : 3,15-6,06) pour toutes les autres statines. Dans le cas de l’insuffisance hépatique aiguë, l’incidence se situait à 0,33 (IC à 95 % : 0,05-2,37) contre 1,13 (IC à 95 % : 0,60-2,13). Enfin, l’incidence de la myopathie s’établissait à 0,91 (IC à 95 % : 0,29-2,86) contre 0,42 (IC à 95 % : 0,15-1,18) et celle de la rhabdomyolyse, à 0,82 (IC à 95 % : 0,26-2,59) contre 0,14 (IC à 95 % : 0,05-0,37). Le chevauchement des intervalles de confiance, considérable pour la plupart des comparaisons, exclut tout écart significatif entre les taux.

Ces résultats, «qui vont dans le sens d’observations pharmacoépidémiologiques et de données d’essais comparatifs avec randomisation», portent à croire que les statines plus efficaces ont un profil d’innocuité semblable à celui des autres statines sur le marché, avance l’auteur principal de l’étude, le Dr Luis A. García Rodríguez, Centro español de investigación farmacoepidemiológica (CEIFE), Madrid, Espagne. Pour parvenir à une efficacité statistique qui permette «de quantifier les effets indésirables rares, comme ceux des statines», nous devons absolument travailler avec de vastes bases de données, insiste-t-il. Il précise, en outre, que vu les populations vastes et diverses comprises dans les 4 bases de données retenues, il est plus qu’improbable que des facteurs de confusion viennent entacher les principales conclusions de l’étude.

Autre constatation fort rassurante, la statine la plus efficace a été associée à un taux de mortalité toutes causes confondues statistiquement plus faible. Ainsi, on a calculé, dans les données groupées, une incidence de mortalité de 6,66 (IC à 95 % : 5,67-7,83) pour la rosuvastatine et de 13,31 (IC à 95 % : 12,61-14,05) pour toutes les autres statines.

Ce taux de mortalité plus faible pourrait fort bien tenir tout simplement à un effet hypolipidémiant plus marqué se traduisant par un risque moindre d’événements CV menaçant le pronostic vital. L’absence de chevauchement des intervalles de confiance confirme qu’on est ici en présence d’un écart significatif; d’ailleurs, les essais sur les statines ont, les uns après les autres, mis en lumière ce même lien entre les baisses plus marquées du C-LDL et le nombre moindre d’événements CV.

Selon les recommandations canadiennes en vigueur, le C-LDL devrait être inférieur à 2 mmol/L ou diminuer d’au moins 50 % par rapport à la valeur de départ chez un patient atteint de maladie coronarienne (Genest et al. Can J Cardiol 2009;25:567-79); cela dit, plus le C-LDL baisse, plus la protection CV s’accentue, et on n’a pas encore découvert de seuil en deçà duquel ce principe ne s’appliquerait plus.

 

Forte cohérence au chapitre de l’efficacité et du risque

 

Les conclusions tirées de cette récente comparaison sont remarquablement proches des résultats d’une des plus vastes études menées sur la question (McAfee et al. Pharmacoepidemiol Drug Saf 2006;15:444-53). L’agent de référence était, là encore, la rosuvastatine : on ne pourrait demander mieux pour explorer le lien entre l’efficacité hypolipidémiante et le risque d’effets indésirables. Pour la réduction du C-LDL, 5 mg de rosuvastatine équivalent grosso modo à 20 mg d’atorvastatine, à 40 mg de simvastatine et à 80 mg de pravastatine ou de lovastatine. Lors de cette étude menée aux États-Unis, on a comparé les effets indésirables survenus en début de traitement chez 11 249 patients traités par la rosuvastatine et chez 37 282 patients traités par une autre statine. Le suivi a duré jusqu’à 18 mois.

Toujours dans cette étude, le dénominateur servant à la comparaison des manifestations indésirables était l’incidence d’un événement donné pendant 1000 années-patients d’exposition. Ainsi, dans le cas de la dysfonction rénale, ces taux s’établissaient à 1,18 (IC à 95 % : 0,61-2,06) pour la rosuvastatine et à 1,26 (IC à 95 % : 0,91-1,71) pour toutes les autres statines. Pour la dysfonction hépatique, les données étaient les suivantes : 0,2 (IC à 95 % : 0,02-0,71) et 0,24 (IC à 95 % : 0,1-0,47). En ce qui concerne la myopathie, on a enregistré des taux de 0,2 (IC à 95 % : 0,02-1,71) et de 0,0 (IC à 95 % : 0,0-0,09), et pour ce qui est de la rhabdomyolyse, les taux étaient de 0,1 (IC à 95 % : 0,0-0,55) et de 0,06 (IC à 95 % : 0,01-0,22) (Tableau 1). L’auteur principal de l’étude, le Dr Andrew T. McAfee, Brigham and Women’s Hospital, Harvard Medical School, Boston, Massachusetts, se dit rassuré devant la faible incidence de la rhabdomyolyse pour l’ensemble des statines. Conscient du risque de biais inhérent à l’analyse rétrospective, il fait cependant observer que l’existence de facteurs de confusion assez lourds pour infirmer les conclusions d’une étude de cette taille n’est pas improbable, mais est certes «difficilement concevable».


 

Risque rénal : le gène SLCO1B1 possiblement en cause

 

Lors de nombreuses études comparatives sur les statines, on a recherché des particularités autres que l’effet hypolipidémiant qui pourraient expliquer les différences entre les agents sur le marché au chapitre des bénéfices ou des risques, mais cette quête n’a guère été concluante. Il y a toutefois une exception : la cérivastatine, retirée du marché en 2001 en raison d’un taux élevé de rhabdomyolyse. Aujourd’hui, il semble que les écarts observés dans les études non comparatives en ce qui touche le taux de myopathies tiennent davantage au polymorphisme du gène SLCO1B1 (Maggo SD, Kennedy MA, Clark DW. Drug Saf 2011;34:1-19), qui influe sur le métabolisme des statines, qu’à des différences fondamentales entre les statines. Par exemple, selon les auteurs de deux études dont les résultats ont été dévoilés récemment mais n’ont pas encore été publiés, les avantages relatifs des statines pourraient différer en présence d’une maladie rénale chronique (MRC); cependant, de nombreuses données ne confirment pas cette hypothèse. Ici encore, le problème vient du fait qu’il est difficile de tirer d’une étude de taille restreinte des données exactes sur le risque relatif de survenue d’événements rares.

«Comme on préconise un traitement énergique par les statines, on s’inquiète davantage, et à bon droit, des effets indésirables de cette classe de médicaments», fait remarquer le Dr McAfee. Les statines semblent effectivement liées à une hausse des cas de myopathie; toutefois, il n’y a pas de données prospectives de niveau 1 – ni d’observations rétrospectives provenant d’ensembles de données assez vastes pour que le risque de biais soit minime – permettant d’affirmer qu’elles se distinguent notablement les unes des autres sur ce plan. Les grandes bases de données rétrospectives sont rassurantes dans la mesure où, «grâce à leur utilité pour l’observation prolongée de vastes groupes hétérogènes, elles sont en quelque sorte le complément des essais cliniques avec randomisation et des rapports spontanés d’effets indésirables».

L’innocuité rénale revêt une importance particulière, car la MRC constitue un facteur de risque reconnu des événements CV que l’on souhaite justement prévenir en prescrivant des statines. Malgré les cas relativement rares d’insuffisance rénale aiguë (~1 événement pour 1000 années-patients), les statines se sont montrées grandement efficaces à maintes reprises pour la réduction du risque CV, et ce, même en présence d’une MRC. Dans une sous-étude de CARE (Cholesterol and Recurrent Events), essai sur la prévention secondaire, on a évalué l’efficacité relative de la pravastatine pour la diminution du risque CV en présence d’une MRC. Le recul de 28 % (p=0,001) du risque de survenue d’un paramètre mixte comprenant des événements coronariens majeurs sous pravastatine par rapport au placebo était comparable à la baisse observée chez les sujets exempts de MRC (Tonelli et al. Ann Intern Med 2003;138:98-104).

 

JUPITER : sous-étude dans la MRC

 

On a publié récemment les résultats d’une sous-étude de l’essai JUPITER (Justification for the Use of statins in Prevention: an Intervention Trial Evaluating Rosuvastatin) sur la prévention primaire; une fois encore, la statine s’est révélée très efficace en présence d’une MRC (Ridker et al. J Am Coll Cardiol 2010;55:1266-73). Les sujets de JUPITER avaient un taux élevé de protéine C-réactive ultrasensible (hsCRP), mais il n’y avait rien à signaler du côté du C-LDL (le taux de C-LDL devait être <3,4 mmol/L lors de l’admission); après randomisation, ils ont reçu de la rosuvastatine ou un placebo. Cette étude a prouvé que le traitement hypolipidémiant était avantageux pour les patients qui présentaient au moins un facteur de risque et un taux élevé de hsCRP, biomarqueur de l’inflammation. Quant à la sous-étude, elle a démontré que cet avantage était tout aussi important chez les patients atteints d’une MRC modérée (débit de filtration glomérulaire estimé [DFGe] <60 mL/min/1,73 m2) que chez les patients exempts de MRC manifeste (DFGe =60 mL/min/1,73 m2).

Chez les patients atteints de MRC, on enregistrait, après un suivi médian de 1,9 an, une baisse de 45 % (p=0,002) du risque de survenue du paramètre principal – IM, AVC, hospitalisation pour cause d’angine instable, intervention de revascularisation artérielle ou mort d’origine CV – dans le groupe rosuvastatine par rapport au groupe placebo (comparativement à une réduction de 43 % chez les sujets exempts de MRC modérée; p<0,001). De plus, toujours chez les patients souffrant de MRC, la mortalité toutes causes confondues a reculé de 44 % (p=0,005) dans le groupe rosuvastatine par rapport au groupe placebo (comparativement à une réduction de 12 % chez les patients exempts de MRC; p=0,25) (Tableau 2). Selon les valeurs du DFGe, rien n’indique que la rosuvastatine ait eu u
a fonction rénale.

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«Les taux absolus de maladie vasculaire étaient évidemment plus élevés chez les patients atteints de MRC modérée. Du coup, les réductions absolues du risque sous rosuvastatine étaient plus marquées et les valeurs du nombre de patients à traiter, plus faibles, en présence d’un DFGe inférieur à 60 mL/min/1,73 m2 qu’en présence d’un DFGe plus élevé», signale l’auteur principal, le Dr Paul Ridker, Brigham and Women’s Hospital.

Tout comme l’essai JUPITER, l’essai CARDS (Collaborative Atorvastatin Diabetes Study) a été interrompu prématurément au vu de l’énorme avantage du traitement hypolipidémiant, qui rendait l’affectation d’autres sujets au groupe placebo contraire à l’éthique (Colhoun et al. Lancet 2004;364:685-96). Dans l’essai CARDS, des patients atteints de diabète de type 2, mais exempts de maladie cardiaque, et présentant un taux de C-LDL de départ <4,15 mmol/L ont reçu, après randomisation, de l’atorvastatine à 10 mg ou un placebo. Une fois de plus, en dépit du risque accru d’atteinte rénale en terrain diabétique, la statine s’est révélée sûre et le risque d’événement CV a reculé de 37 % (p=0,001). Enfin, la diminution de la mortalité était, à 27 %, proche de la significativité statistique (p=0,059).

L’arrivée de la première statine, en 1987, a jeté un éclairage nouveau sur la physiopathologie de l’athérosclérose; en effet, les médicaments de cette classe abaissaient le C-LDL avec une efficacité jusqu’alors inégalée, ce qui nous a aidés à mieux comprendre cette maladie. Depuis, les valeurs cibles du C-LDL sont constamment revues à la baisse, une longue série de vastes essais multinationaux ayant systématiquement démontré que plus le C-LDL était faible, plus le risque CV diminuait. La réduction du risque a d’abord été mise en lumière chez les sujets atteints d’une maladie CV et ensuite chez ceux qui n’étaient qu’exposés à des facteurs de risque; puis les études ont étayé l’hypothèse voulant qu’en présence d’un risque CV, on avait intérêt à viser le taux de C-LDL le plus faible possible.

À ce jour, cette hypothèse demeure incontestée. On n’a jamais constaté, du moins jusqu’à maintenant, que des problèmes pouvaient survenir en deçà d’un certain taux de C-LDL : bref, une réduction plus marquée du C-LDL entraîne généralement une réduction plus marquée du risque, quels que soient les taux de C-LDL de départ et d’arrivée. Bien qu’il existe plusieurs théories voulant que les effets cliniques des statines soient pléiotropes – la protection contre l’athérosclérose ne reposerait donc pas uniquement sur la réduction de la taille de la plaque athéromateuse, mais également sur une activité antithrombotique –, rien n’indique que les effets antithrombotiques ne soient pas fondamentalement liés à la baisse du cholestérol. Par exemple, l’effet anti-inflammatoire des statines pourrait fort bien découler de leur effet hypolipidémiant. Globalement, on n’a jamais démontré de façon probante l’existence de différences importantes entre les statines, mis à part leur efficacité hypolipidémiante relative.

Et – fait peut-être tout aussi important – on n’a jamais démontré de façon probante non plus que ces agents se distinguaient les uns des autres au chapitre de la tolérabilité ou du risque d’effets indésirables, et ce, malgré les nombreux essais menés sur la question. Ce sont là des constatations utiles, car elles permettent au clinicien de concentrer ses efforts sur l’atteinte des cibles lipidiques fondées sur des preuves en prescrivant, à la posologie adéquate, la statine la plus susceptible de l’amener vers cet objectif.

 

Résumé

 

Après pas loin de 25 années d’utilisation clinique, il semble que le seul élément notable distinguant les statines au chapitre de la réduction du risque CV soit l’efficacité relative avec laquelle elles abaissent le C-LDL et élèvent le C-HDL. Par ailleurs, les effets indésirables rares associés aux statines ne semblent pas liés à leur efficacité hypolipidémiante. En vérité, ils se sont révélés dans une large mesure imprévisibles et idiosyncrasiques, quoiqu’on ait observé un lien dose-réponse en ce qui concerne le risque de myopathie. Et, à tout le moins dans certains cas, une prédisposition génétique pourrait être en cause. L’efficacité relative des statines est indissociable de leur effet sur le C-LDL; par conséquent, leurs bénéfices dans certains contextes, notamment en présence d’autres affections telles que la MRC et le diabète, procèdent de la diminution du C-LDL. Ce sont là des observations qui ne manqueront pas d’interpeller le clinicien désireux d’atteindre les valeurs recommandées par un emploi énergique des statines. Ces dernières sont toutes remarquablement efficaces et bien tolérées; ce qui les distingue les unes des autres, ce sont principalement les baisses du C-LDL qu’elles déterminent.

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