Comptes rendus

Raffinement des stratégies ciblées dans le traitement de la leucémie myéloïde aiguë et chronique
Progrès dans la quête d’un meilleur pronostic du gliome malin

Stratégies de chimioprévention dans le cancer de la prostate : résolution d’une énigme

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

La 42e Assemblée annuelle de l’American Society of Clinical Oncology

Atlanta, Géorgie / 2-5 juin 2006

L’étude PCPT (Prostate Cancer Prevention Trial) a mis en évidence une réduction hautement significative de 25 % de la prévalence du cancer de la prostate pendant un suivi de sept ans chez des hommes de 55 ans et plus qui recevaient le finastéride, inhibiteur de la 5-alpha réductase, à raison de 5 mg/jour, par comparaison à ceux qui recevaient un placebo.

«C’est seulement la deuxième fois, dans l’histoire de la médecine, qu’il est démontré qu’un médicament peut prévenir un cancer fréquent chez l’humain. Le premier médicament avait été le tamoxifène dans la prévention du cancer du sein», affirme le Dr Barnett Kramer, directeur, Bureau de la prévention des maladies, National Institutes of Health, Bethesda, Maryland. Chez les sujets de l’étude PCPT qui recevaient le traitement actif, on a aussi observé une incidence significativement plus faible de symptômes urinaires, dont la prostatite, la rétention urinaire, l’hypertrophie bénigne de la prostate (HBP) et la résection transurétrale de la prostate pour l’HBP.

Établissement de la preuve

Comme il a été démontré sans équivoque que le risque d’un diagnostic de cancer de la prostate est moindre chez les hommes recevant le finastéride, ce qui en soit est important, il peut sembler inutile que l’American Society of Clinical Oncology ait décidé de faire équipe avec l’American Urological Association pour réaliser une revue de synthèse systématique de la classe des inhibiteurs de la 5-alpha réductase, affirme le Dr Kramer. Cette revue aura pour objectif de régler un certain nombre de questions clés, la plus importante étant peut-être la controverse qui entoure toujours les résultats de l’étude PCPT : les inhibiteurs de la 5-alpha réductase favorisent-ils l’apparition de tumeurs prostatiques de grade élevé et, le cas échéant, à quoi tient cet effet?

Le Dr Scott Lucia, professeur agrégé de pathologie, University of Colorado, Boulder, et pathologiste principal de l’étude PCPT, a longuement réfléchi à la question. Comme il l’a expliqué aux congressistes, on a dénombré 43 tumeurs de forte malignité (score de Gleason de 7 à 10) de plus dans le groupe finastéride que dans le groupe placebo, ce qui revient à une augmentation absolue de 1,3 % du nombre de sujets de l’étude PCPT chez qui on a diagnostiqué une tumeur de grade élevé. «La majeure partie de cette augmentation était dans le groupe score de Gleason de 8 à 10, l’incidence des tumeurs ayant un score de Gleason de 7 ayant été très semblable d’un groupe à l’autre», rapporte le Dr Lucia. (Il importe de souligner la diminution marquée de la prévalence des tumeurs ayant un score de Gleason £6 dans le groupe finastéride de la même étude).

Trois raisons pourraient expliquer ce phénomène, fait valoir le Dr Lucia. Premièrement, il est possible que l’agent actif ait favorisé l’apparition d’une tumeur de grade élevé, à tout le moins chez certains hommes. Le cancer de la prostate de forte malignité est en fait associé à de faibles taux d’androgènes, lesquels sont à leur tour associés à une évolution plus agressive du cancer de la prostate. Par conséquent, si le finastéride était capable de potentialiser l’apparition d’une tumeur de forte malignité, l’exposition prolongée au composé – comme ce fut le cas dans l’étude PCPT de sept ans – donnerait lieu à une augmentation cumulative du nombre d’hommes porteurs d’une tumeur de grade élevé au fil des années. Or, ce ne fut pas le cas. En effet, la différence entre les deux groupes quant à la prévalence du cancer de la prostate pendant l’étude est apparue très tôt après le début de l’étude et ne s’est pas accentuée au fil du temps. C’est donc dire que, contrairement au tamoxifène qui a favorisé l’apparition du cancer de l’endomètre dans les essais sur la prévention du cancer du sein, le finastéride n’a pas eu cet effet.

En deuxième lieu, l’agent actif pourrait avoir altéré le grade des tumeurs, de sorte que le phénotype des tumeurs de bas grade aurait été modifié au point où la tumeur de bas grade serait apparue comme une tumeur de grade élevé à l’examen pathologique. Afin d’explorer cette hypothèse plus à fond, le Dr Lucia et ses collaborateurs ont de nouveau passé en revue les caractéristiques pathologiques clés des tumeurs ayant eu un score de Gleason de 7 à 10 pendant l’étude PCPT. Peu importe la variable examinée, que ce soit le pourcentage de scores positifs, l’extension linéaire totale, la bilatéralité ou le volume médian de la prostate, les valeurs étaient moins marquées – souvent de manière significative – dans le groupe finastéride que dans le groupe placebo. De plus, les valeurs ont continué de baisser au cours de l’étude dans le groupe de traitement actif, «ce qui donne à penser que les tumeurs étaient beaucoup plus petites dans le groupe finastéride que dans le groupe placebo», fait remarquer le Dr Lucia. Enfin, les prostatectomies n’ont mis en évidence aucune donnée pouvant indiquer que l’inhibiteur de la 5-alpha réductase favorisait l’apparition d’une tumeur de grade élevé, ajoute-t-il.

Lors d’études non connexes, des chercheurs ont observé que la suppression des androgènes entraînait de profonds changements dans la morphologie du cancer de la prostate, dont une altération de la structure glandulaire. «Il s’agit là d’un point important, insiste le Dr Lucia, parce que le système de Gleason repose largement sur la structure glandulaire pour la détermination du grade.» Afin de vérifier l’hypothèse voulant que le système de Gleason ne soit pas fiable dans l’éventualité d’une exposition au finastéride, les chercheurs de l’étude PCPT ont convoqué un groupe de pathologistes experts afin de revoir à l’insu toutes les biopsies de tumeurs de grade élevé ayant été effectuées dans le cadre de l’étude PCPT. Après leur examen des biopsies, les experts ont déclaré qu’ils étaient incapables d’identifier une seule caractéristique, voire un groupe de critères, qui permettrait de différencier avec exactitude une tumeur du groupe finastéride d’une tumeur du groupe placebo. «Nous ne pensons donc pas qu’un artefact histologique explique les résultats de l’étude PCPT», d’enchaîner le Dr Lucia.

La troisième possibilité qui pourrait expliquer la disparité entre le groupe finastéride et le groupe placebo quant au nombre de tumeurs de forte malignité serait un biais de constatation inhérent à l’étude PCPT. Comme le note le Dr Lucia, la possibilité d’un biais de constatation dans l’étude PCPT pourrait tenir à l’effet du finastéride sur le volume de la prostate et le taux d’antigène spécifique de la prostate (PSA). «Nous savons que le finastéride inhibe les tumeurs de faible malignité; c’est d’ailleurs ce que l’étude a démontré», explique le Dr Lucia. Mais il a aussi pour effet de réduire le volume de la prostate, de sorte que, pendant la biopsie, les probabilités de trouver une tumeur sont plus élevées si tumeur il y a, et encore plus élevées s’il s’agit d’une tumeur de forte malignité, car l’expansion d’une tumeur de faible malignité est moins probable sous l’effet d’un traitement par le finastéride.

Le finastéride a aussi pour effet d’abaisser le taux de PSA d’environ 2 ng/mL. Comme les taux de PSA étaient plus faibles dans le groupe de traitement actif en raison de l’effet du traitement sur ce paramètre, les investigateurs ont dû constamment ajuster le seuil de biopsie afin que le nombre de sujets subissant une biopsie demeure relativement semblable dans les deux groupes. Au bout du compte, le dosage du PSA était doté d’une meilleure sensibilité et d’une meilleure spécificité pour la détection de tous les cancers de la prostate, y compris les tumeurs de forte malignité, tant chez les hommes ayant reçu l’agent actif que chez les témoins. On pourrait aussi arguer que le grade des tumeurs biopsiées dans le groupe placebo était sous-estimé et que, si les données de l’étude PCPT avaient été modélisées différemment de façon à tenir compte de cette sous-estimation du grade, «il y aurait eu plus de tumeurs de grade élevé dans le groupe placebo, poursuit le Dr Lucia. Dans le cancer de la prostate, le seuil de détection repose à la fois sur le taux de PSA et le toucher rectal, et nous estimons que le finastéride a modifié ce seuil de détection vers la gauche et, ce faisant, nous avons capté plus de tumeurs de grade élevé d’entrée de jeu, ajoute-t-il. Ainsi, le nombre plus élevé de cancers de grade élevé dans l’étude PCPT est dû, à tout le moins en partie, à l’augmentation du taux de détection des tumeurs de grade élevé chez les hommes qui recevaient le médicament.»

La décision d’administrer le finastéride dépendra de questions comme l’anxiété du patient quant à son risque de développer un cancer de la prostate, ses antécédents familiaux de cancer de la prostate et la présence d’autres symptômes comme l’HBP qui gagneraient à être traités.

Même si une analyse ultérieure montre que le finastéride n’a pas d’effet sur la survie, «on pourrait avancer qu’il est tout de même bénéfique s’il permet une réduction du nombre de cancers de la prostate diagnostiqués et, par conséquent, de la morbidité et du fardeau du traitement qui en découlent», de conclure le Dr Lucia.

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