Comptes rendus

Lutter contre une vulnérabilité accrue aux infections à méningocoque
Protection élargie contre les infections pneumococciques grâce aux vaccins multivalents

Traitement de la narcolepsie : Les symptômes dominants dans la mire du clinicien

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

PERSPECTIVE PROFESSIONNELLE - Tour d’horizon de la littérature sur Troubles du sommeil

Mai 2010

Sous la direction de :

Brian J. Murray, MD, FRCPC, DABSM

Neurologie et médecine du sommeil, Sunnybrook Health Sciences Centre, Professeur adjoint, University of Toronto,Toronto, Ontario,

Thomas E. Scammell, MD

Professeur agrégé de neurologie, Harvard Medical School, Boston, Massachusetts

NARCOLEPSIE : COMBIEN DE CAS NON DIAGNOSTIQUÉS?

La narcolepsie est peu fréquente, certes, mais ce n’est pas pour autant une maladie rare. La prévalence varie suivant la population : on l’évalue à 1 cas sur 2000 aux États-Unis et en Europe1,2; selon cette proportion, quelque 15 000 personnes en seraient atteintes au Canada. Cela dit, on pense qu’il y a de nombreuses erreurs de diagnostic et que bien des cas de narcolepsie ne sont pas diagnostiqués du tout. La prévalence réelle de la maladie pourrait donc être plus élevée que ne le croient bon nombre de cliniciens3. La narcolepsie s’installe habituellement à l’adolescence4, mais elle peut aussi apparaître pendant l’enfance ou passé 40 ans. Lors d’une étude menée en France et au Canada, on a effectivement noté un premier pic de prévalence à l’adolescence, mais aussi un deuxième à environ 35 ans, et ce, dans les deux pays5.

LE QUATUOR CLASSIQUE

Les quatre symptômes classiques de la narcolepsie sont la somnolence diurne excessive (SDE), la cataplexie, les hallucinations et la paralysie du sommeil (Tableau 1)6.

Tableau 1. Pourcentage de patients touchés par les symptômes


La cataplexie est la perte soudaine, partielle ou complète, de la maîtrise des muscles volontaires7 déclenchée par une émotion forte, par exemple le rire ou la colère. Les hallucinations intenses du sujet narcoleptique surviennent généralement lors du passage de l’état de veille au sommeil; elles sont souvent terrifiantes, mais leur irréalité est manifeste. La paralysie du sommeil est l’incapacité de bouger ou de parler au moment du réveil; c’est un état transitoire qui dure une minute ou deux. La SDE fait toujours partie, à des degrés divers, du tableau de la narcolepsie, et elle s’accompagne de cataplexie chez environ 60 % des patients4,8. Lorsque la cataplexie est le principal symptôme, la narcolepsie risque davantage d’être diagnostiquée tardivement9. Il est relativement peu fréquent que les quatre symptômes soient tous présents chez un même patient10. Lors d’une étude, l’intervalle médian entre l’apparition des symptômes et le diagnostic était de 10,5 ans11.

De toutes les manifestations de la narcolepsie, la SDE est celle que le patient signale le plus souvent d’emblée, le motif de consultation le plus fréquent et le symptôme qui perturbe le plus le quotidien12,13. Le sujet en proie à la SDE ressent un besoin intense et souvent irrépressible de s’assoupir malgré une bonne nuit de sommeil. Bien que ces siestes soient souvent réparatrices, le patient narcoleptique peut redevenir somnolent au bout de quelques heures. Il arrive souvent que le sujet rêve pendant les siestes, même lorsqu’elles sont brèves. Le lien étroit entre la SDE et le rêve tient probablement au dérèglement du sommeil paradoxal, qui fait en sorte que cette phase du sommeil s’installe rapidement après l’endormissement nocturne et à tout moment de la journée14.

La sévérité de la SDE, mesurée au moyen d’outils subjectifs telle l’échelle ESS (Epworth Sleepiness Scale) et objectifs tel le test de latence du sommeil ou MSLT (multiple sleep latency test) peut varier considérablement selon le patient et le moment de la journée. De nombreux patients sont pris d’une somnolence soudaine ou intense qui nuit à l’exécution d’activités exigeant une attention soutenue, par exemple les travaux scolaires ou la conduite automobile. La SDE est généralement plus marquée pendant les périodes d’inactivité13; d’ailleurs, le patient finit par savoir à quel moment il est le plus vulnérable et peut dès lors adapter son horaire en conséquence. Malgré tout, ce symptôme amoindrit souvent la qualité de vie et se répercute notamment sur les rapports sociaux, la somnolence étant plutôt mal perçue6,15.

La cataplexie constitue l’un des principaux repères diagnostiques, car elle est pour ainsi dire exclusive à la narcolepsie. Sa sévérité est très variable : elle n’intéresse parfois que certains groupes musculaires, par exemple ceux du visage, ou provoque un effondrement musculaire dans tous les membres, si bien que le sujet s’affaisse7. La crise cataplectique dure de quelques secondes à quelques minutes. Dans certains cas, la cataplexie est tellement subtile que le patient n’en parlera pas spontanément; on devra lui demander précisément s’il lui arrive de ressentir une faiblesse en présence d’une émotion forte, que ce soit le rire, la surprise, la colère ou la contrariété. À l’instar de la SDE, la cataplexie s’accentue en présence d’une fatigue consécutive à un sommeil nocturne fragmenté7.

Diagnostiquer la narcolepsie n’est pas toujours une sinécure. Devant l’association SDE-cataplexie, on peut presque toujours conclure à la narcolepsie13. Sans être des signes pathognomoniques, les hallucinations ou la paralysie du sommeil peuvent éveiller les soupçons du clinicien. Cela dit, dans la plupart des cas, la polysomnographie suivie du MSLT constitue une démarche diagnostique incontournable; de plus, ces tests permettent d’exclure d’autres facteurs susceptibles de causer la somnolence. Chez la majorité des patients narcoleptiques, le MSLT diurne révèle des endormissements rapides et des épisodes fréquents de sommeil paradoxal.

PRISE EN CHARGE DES SYMPTÔMES DOMINANTS

Plusieurs mesures non médicamenteuses peuvent atténuer la SDE, mais la plupart des patients ont également besoin de médicaments pour combattre la somnolence. Les démarches non médicamenteuses portent généralement sur l’hygiène du sommeil. Ainsi, on recommandera au patient de dormir suffisamment la nuit et de prévoir des siestes pendant la journée; ce sont là des stratégies qui allègent le fardeau de la narcolepsie16. On a fait grand usage de stimulants comme les amphétamines pour traiter la SDE, mais ces agents ont de nombreux effets indésirables, provoquant notamment céphalées, insomnie et diminution de l’appétit, en plus d’être associés à un risque d’abus17. Cependant, les auteurs des guides de pratique préconisent désormais un traitement plus ciblé des symptômes, à savoir le recours à des stimulants de la vigilance contre la SDE et à des médicaments agissant sur le sommeil paradoxal contre d’autres manifestations, notamment la cataplexie18.

Dans la plupart des guides de pratique actuels, y compris celui de l’American Academy of Sleep Medicine et de la European Federation of Neurological Sciences, le modafinil est un stimulant de la vigilance de première intention dans le traitement de la narcolepsie (Tableau 2)18,19. Le modafinil n’agit pas sur la cataplexie, mais il est bien toléré et associé à un faible risque d’abus20. Son mécanisme d’action n’est pas entièrement élucidé, mais d’après les études menées chez l’animal, il accentuerait la signalisation dopaminergique13. Son utilisation se traduit par une amélioration subjective de la SDE, et plusieurs essais comparatifs avec randomisation ont mis en lumière une amélioration objective de la somnolence diurne21,22. Contrairement à de nombreux autres agents, le modafinil est expressément indiqué dans le traitement de la narcolepsie.

Tableau 2. Recommendation 2007 de l’American Academy of Sleep Med
nt de la narcolepsie

<img4072|center>

L’oxybate de sodium est lui aussi considéré, dans de nombreux guides de pratique, comme un agent de première intention dans le traitement de la narcolepsie, plus précisément chez les patients aux prises à la fois avec la SDE et la cataplexie18,19. À l’instar du modafinil, l’oxybate de sodium, également appelé gamma-hydroxybutyrate (GHB), a fait l’objet d’une série d’études assez vastes avec randomisation et placebo qui ont conduit à son homologation dans le traitement de la narcolepsie avec cataplexie. Dans une étude multicentrique menée aux États-Unis, la dose de 9 g avait réduit de 69 % les crises cataplectiques après quatre semaines, par rapport au début de l’étude23. Lors d’une prolongation d’essai, les bénéfices se sont maintenus sur 12 mois, sans signe de tolérance ni effets indésirables additionnels24. D’autres études ont confirmé l’efficacité à long terme de cette substance25,26; cela dit, l’un des avantages que présente l’oxybate de sodium sur d’autres agents tels les amphétamines est l’absence de symptômes de sevrage à la suite de la cessation abrupte du traitement27. Qui plus est, cet agent s’est montré efficace contre la SDE dans une étude qui portait précisément sur ce symptôme28. Les chercheurs ont, en effet, signalé une amélioration significative de la vigilance par rapport au placebo, selon des mesures tant objectives que subjectives, chez 228 patients. Ils ont toutefois souligné que l’efficacité de cet agent contre la SDE et la cataplexie n’avait pas été démontrée lors de vastes études comparatives avec d’autres agents.

Les stimulants peuvent, eux aussi, atténuer considérablement la cataplexie29. Dans la plupart des recommandations, ces médicaments font partie des solutions de deuxième intention en raison de leurs effets indésirables18,19, parmi lesquels figurent les manifestations sympathomimétiques30. Malgré tout, les amphétamines demeurent de puissants stimulants de la vigilance, et on peut raisonnablement les prescrire lorsque les agents de première intention ne produisent pas les résultats escomptés.

De nombreux agents qui ne sont pas expressément indiqués dans la narcolepsie sont recommandés dans les guides de pratique en raison de leur possible utilité contre la SDE, la cataplexie et d’autres symptômes de la narcolepsie. On pense ici à divers antidépresseurs, tels que la venlafaxine, la clomipramine et la fluoxétine qui, comme d’autres médicaments, se sont révélés efficaces à la fois contre la SDE et la cataplexie32, et à la sélégiline, inhibiteur de la monoamine oxydase, qui peut elle aussi atténuer la SDE et la cataplexie31,32.

Vu la diversité des symptômes et de leurs répercussions sur la vie des patients, il n’existe pas d’algorithme de traitement universel dans la narcolepsie. On doit donc personnaliser le traitement, en n’oubliant jamais qu’un patient ne répondant pas aux agents de première intention pourrait avoir besoin d’autres médicaments qui, dans bien des cas, ne sont pas expressément indiqués dans la narcolepsie pour l’instant. Grâce à ces stratégies médicamenteuses et à des démarches comportementales visant à réduire au minimum les répercussions de la narcolepsie sur le quotidien, même les patients aux prises avec des symptômes assez lourds peuvent espérer parvenir à une bonne qualité de vie.

RÉSUMÉ

De nombreux cas de narcolepsie, particulièrement les cas légers ou modérés, ne sont pas diagnostiqués, car les médecins connaissent mal les manifestations de la maladie. Pour traiter la narcolepsie efficacement, on doit d’abord et avant tout prendre en compte cette possibilité lors du diagnostic différentiel chez tout patient qui signale une SDE. Par ailleurs, la cataplexie peut passer inaperçue si le médecin ne s’enquiert pas précisément de ce symptôme lors de l’anamnèse. Les traitements de première intention contre la SDE et la cataplexie sont souvent très efficaces. Les symptômes dominants guideront le choix du traitement de première intention, après quoi de nombreuses autres avenues thérapeutiques pourront être explorées si certaines manifestations persistent.

RÉFÉRENCES

1. Hale L. In: Narcolepsy: A Clinical Guide, sous la direction de M Goswami, SR Pandi-Perumal et MJ Thorpy. New York City: Springer; 2010:47-53.

2. Ohayon et al. Neurology 2002;58(12):1826-33.

3. Narcolepsy Fact Sheet. 2010. Site consulté le 26 avril 2010. (http://www.ninds.nih.gov/disorders/narcolepsy/detail_narcolepsy.htm)

4. Silber et al. Sleep 2002;25(2):197-202.

5. Dauvilliers et al. Neurology 2001;57(11):2029-33.

6. Green et al. Arch Fam Med 1998;7(5):472-8.

7. Dauvilliers et al. Lancet 2007;369(9560):499-511.

8. Zeman et al. BMJ 2004;329(7468):724-8.

9. Krahn LE. Sleep Med 2005;6(6):537-42.

10. Williams et al. In: Comprehensive Textbook of Psychiatry, sous la direction de HI Kaplan et BJ Sadock. Baltimore: Williams & Wilkins; 1995.

11. Morrish et al. Sleep Med 2004;5(1):37-41.

12. Overeem et al. J Clin Neurophysiol 2001;18(2):78-105.

13. Scammell TE. Ann Neurol 2003;53(2):154-66.

14. Sasai et al. Sleep Med 2009;10(9):961-6.

15. Ervik et al. Acta Neurol Scand 2006;114(3):198-204.

16. Rogers et al. Sleep 2001;24(4):385-91.

17. Mitler et al. Sleep 1994;17(4):352-71.

18. Morgenthaler et al. Sleep 2007;30(12):1705-11.

19. Billiard et al. Eur J Neurol 2006;13(10):1035-48.

20. Mitler et al. Sleep Med 2000;1(3):231-43.

21. US Modafinil in Narcolepsy Multicenter Study Group. Ann Neurol 1998;43(1):88-97.

22. US Modafinil in Narcolepsy Multicenter Study Group. Neurology 2000;54(5):1166-75.

23. U.S. Xyrem Multicenter Study Group. Sleep 2002;25(1):42-9.

24. U.S. Xyrem Multicenter Study Group. Sleep 2003;26(1):31-5.

25. U.S. Xyrem Multicenter Study Group. Sleep Med 2004;5(2):119-23.

26. Xyrem International Study Group. Sleep Med 2005;6(5):415-21.

27. U.S. Xyrem Multicenter Study Group. J Toxicol Clin Toxicol 2003;41(2):131-5.

28. Xyrem International Study Group. J Clin Sleep Med 2005;1(4):391-7.

29. Shindler et al. Br Med J (Clin Res Ed) 1985;290(6476):1167-70.

30. Nissen SE. N Engl J Med 2006;354(14):1445-8.

31. Hublin et al. Neurology 1994;44(11):2095-101.

32. Mayer et al. Clin Neuropharmacol 1995;18(4):306-19.

Commentaires

Nous vous serions reconnaissants de prendre 30 secondes pour nous aider à mieux comprendre vos besoins de formation.