Comptes rendus

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Traiter la douleur chronique et les états thymiques

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

PRESSE PRIORITAIRE - Le 13e Congrès mondial sur la douleur

Montréal, Québec / 29 août-3 septembre 2010

La douleur est souvent un symptôme à finalité d’alarme qui dénote la présence d’un processus pathologique sous-jacent. L’objectif de la prise en charge est donc de reconnaître la pathologie primitive en cause, puis de l’éliminer. Cependant, comme le souligne le président du comité exécutif de l’Australian National Pain Strategy, le Dr Michael Cousins, d’abondantes données étayent la théorie voulant que la douleur persistante ou chronique soit une entité morbide en soi. Des études ont montré que, dans un contexte de douleur chronique, on observe une altération persistante des influx périphériques ainsi que des altérations physiopathologiques persistantes au niveau des ganglions spinaux et de la moelle épinière.

Par ailleurs, de plus en plus de données montrent une altération persistante de la plasticité neuronale dans le thalamus, le système limbique et le cortex en présence de douleur chronique. Comme l’explique le Dr Cousins dans un article qu’il cosigne avec le Dr Siddall (Anesth Analg 2004;99:510-20), on peut suivre les changements qu’entraîne la douleur chronique de la périphérie jusqu’au cerveau, et ces changements se manifestent par des signes et symptômes spécifiques qui témoignent de lésions à chaque étape. «En définitive, la douleur est causée par la pathologie primitive», affirment les auteurs.

Lorsqu’une douleur persiste pendant un certain temps, peu importe la durée, ses conséquences génèrent la pathologie secondaire. Ce phénomène dépend non seulement des influx nociceptifs, mais aussi en grande partie de l’environnement du patient, entre autres les changements d’humeur et la sensibilisation centrale. Par exemple, la douleur neuropathique découle probablement de la sensibilisation centrale faisant suite à une altération des nerfs sensitifs périphériques. Il importe par ailleurs de reconnaître que les changements thymiques, dont l’anxiété et la dépression, altèrent à la fois la perception et l’expression de la douleur.

«Lorsque tous ces facteurs sont réunis, peu importe la maladie dont souffrait le patient au départ, une deuxième pathologie est maintenant présente, et elle mérite d’être traitée», souligne le Dr Cousins.

Facteurs psychosociaux

Lorsqu’on considère la douleur chronique comme une entité morbide, le traitement ne doit pas se limiter à la prise en charge des symptômes, il doit plutôt s’attaquer le mieux possible à la pathologie primitive. Il importe également de déterminer la pathologie secondaire, c’est-à-dire les conséquences de la douleur (y compris les facteurs environnementaux) qui contribuent à la persistance de la douleur.

Comme l’explique Kenneth Craig, PhD, professeur émérite de psychologie, University of British Columbia, Vancouver, le médecin doit tenir compte des facteurs psychosociaux associés à la douleur chronique. «La prise en charge des facteurs psychosociaux est un complément à l’évaluation et aux interventions biomédicales, et elle est essentielle à la prestation de soins complets», note-t-il. Par exemple, le dépistage précoce de réactions émotionnelles excessives à la douleur – anxiété, dépression, pensées destructrices, exagération catastrophiste, état de détresse – peut aider le patient à progressivement s’adapter à sa douleur.

La dégradation des liens sociaux et l’isolement social croissant renforcent la perception de la douleur. Le patient doit donc apprendre à s’adapter et accepter que la douleur ne puisse pas être éliminée. «Seuls des modèles psychosociaux complets nous permettront de comprendre les complexités de la vie de nos patients et de prodiguer des soins efficaces», poursuit le Pr Craig.

Traitement de la douleur neuropathique

Harriet Wittink, PhD, professeure en recherche sur la santé et le mode de vie, Université des sciences appliquées d’Utrecht, Pays-Bas, est d’accord pour dire que les patients aux prises avec une douleur chronique en général, et avec une neuropathie diabétique périphérique (NDP) en particulier, se soucient principalement de l’impact de la douleur sur leur capacité fonctionnelle. L’évaluation des résultats par le patient lui-même est très révélatrice à cet égard. Les auteurs d’un article de synthèse (Neurology 2007;68:1178-82) précisent que la douleur neuropathique nuit grandement à de nombreux aspects de la qualité de vie liée à la santé (QdVs), notamment le fonctionnement physique, émotionnel et social. Il est aussi fréquent que la NDP nuise au sommeil, et diverses études indiquent que parmi ces patients, jusqu’à 35 % souffrent d’anxiété modérée ou sévère et près de 30 % font aussi état d’une dépression.

Au nombre des agents largement utilisés dans le traitement de la douleur neuropathique figurent les antidépresseurs tricycliques (ATC). Bien qu’ils soient efficaces dans un grand nombre de cas, ils peuvent aussi avoir des effets indésirables (EI) importants. L’amitriptyline, ATC d’usage courant pour le traitement de la douleur neuropathique, est mal tolérée par les patients âgés, principalement à cause de ses effets anticholinergiques.

D’un point de vue mécaniste, on croit que la sérotonine et la noradrénaline présentes dans le cerveau et la moelle épinière régulent la perception de la douleur et les symptômes thymiques centraux. Ainsi, l’inhibition du recaptage de la sérotonine et de la noradrénaline augmente l’activité des deux neurotransmetteurs dans le cerveau, ce qui contribue à réguler la douleur et l’humeur. En sa qualité d’inhibiteur sélectif du recaptage de la sérotonine et de la noradrénaline (ISRSN) efficace, la duloxétine est actuellement indiquée pour traitement de la NDP.

Dans le cadre d’une étude où la duloxétine et l’amitriptyline étaient comparées dans la NDP, Hota et al. ont rapporté qu’une progression posologique optimale de l’ISRSN avait permis après 6 semaines de bien soulager la douleur chez 49 % des patients, par comparaison à 35 % des patients recevant l’ATC, quoique ni le questionnaire de McGill ni l’échelle de Likert n’aient objectivé de différences significatives entre les deux groupes. Parmi les quelque 33 EI rapportés au terme de l’étude, 79 % étaient associés à l’amitriptyline et 33 %, à la duloxétine. Au vu de ses EI moins nombreux et plus légers, la duloxétine pourrait constituer une bonne solution de rechange à l’amitriptyline dans la NDP, concluent les chercheurs.

Dans le cadre d’une analyse groupée des données recueillies à 12 semaines chez plus de 1100 patients souffrant de NDP (Pain Med 2007;8:410-8), la duloxétine à 60 mg 1 fois/jour ou 2 fois/jour a été comparée à un placebo. L’autoévaluation a été réalisée à l’aide de plusieurs questionnaires, dont le SF-36 (Short Form 36) et le volet interférence du BPI (Brief Pain Inventory).

Comme l’ont révélé à la fois le SF-36 et le volet interférence du BPI, la supériorité de l’ISRSN, peu importe la dose, sur le placebo était significative dans tous les domaines, dont l’humeur, le sommeil et le niveau d’activité générale. «Lorsque la modulation de la douleur est suffisante pour améliorer le sommeil et la capacité fonctionnelle, vous savez que le traitement est efficace», fait remarquer Mme Wittink.

Le Dr Cousins a cité des données de l’analyse groupée des mêmes études montrant que la diminution moyenne de l’intensité moyenne de la douleur au terme de l’étude était significativement plus marquée sous l’effet de l’ISRSN, peu importe la posologie, que sous placebo (p<0,05). La probabilité de réponse (à savoir, une diminution de =50 % de la douleur par rapport à la douleur initiale) était plus forte sous ISRSN, peu importe la dose, que sous placebo.

Fibromyalgie

La fibromyalgie (FM) s’apparente à la NDP «dans la mesure où les traitements multimodaux semblent très raisonnables compte tenu des options actuellement disponibles», affirme le Dr Cousins. Les scores de QdVs indiquent que, comme la NDP, la FM pourrait avoir plus d’impact sur les résultats fonctionnels que d’autres maladies telles que le lupus disséminé ou la polyarthrite rhumatoïde.

Dans l’une des deux études citées par le Dr Cousins (Pain 2005;119:5-15), 354 patientes atteintes de FM, accompagnée ou non d’un trouble dépressif majeur, ont reçu 60 mg de duloxétine 1 fois ou 2 fois par jour ou un placebo pendant 12 semaines. Au terme de l’étude, chez les patientes sous traitement actif, on a observé une amélioration significativement plus marquée du score d’interférence liée à l’intensité de la douleur, un nombre moindre de zones sensibles à la pression et une amélioration des scores de qualité de vie, par rapport au placebo.

Dans la deuxième étude (Arthritis Rheum 2004;50:2974-84), 207 sujets atteints de FM ont reçu 60 mg de duloxétine 2 fois par jour ou un placebo. Après 12 semaines, la diminution de l’intensité moyenne de la douleur et de l’interférence liée à la douleur était significativement plus marquée sous traitement actif, tout comme l’amélioration des scores de QdV.

Il a été démontré que la NDP et la FM répondent bien également à la prégabaline, un anticonvulsivant. Lors d’une étude réalisée par Richter et al. (J Pain 2005;6:253-60), 246 patients atteints de NDP ont reçu 150 ou 600 mg de prégabaline par jour ou un placebo pendant 6 semaines. Au terme du traitement, la prégabaline à forte dose avait ramené le score moyen de la douleur à 4,3 vs 5,6 pour le placebo, et la proportion de patients dont la douleur avait diminué de =50 % par rapport à la douleur initiale s›établissait à 39 % vs 15 % pour le placebo.

Crofford et al. (Arthritis Rheum 2005;52:1264-73) ont pour leur part évalué 3 doses de prégabaline, par comparaison à un placebo, chez 529 sujets atteints de FM sur une période de 8 semaines. Au terme de l’étude, la prégabaline à 450 mg/jour avait diminué significativement l’intensité moyenne de la douleur par rapport au placebo, et la douleur avait diminué d’au moins 50 % chez un nombre significativement plus élevé de patients (29 % vs 13 % pour le placebo); il en allait de même pour l’amélioration de plusieurs paramètres de la QdV, dont le sommeil et la fatigue.

Résumé

La douleur chronique figure parmi les problèmes de santé les plus coûteux du point de vue de la société, et seuls des efforts concertés permettent de l’évaluer et de la traiter efficacement. Contrairement aux autres agents, la duloxétine peut moduler à la fois la douleur et l’humeur. Or, comme il est fréquent que l’anxiété et la dépression accompagnent la douleur chronique, le recours à un agent qui peut s›attaquer aux deux simplifie le traitement et évite le risque de dépendance, autre considération importante dans le traitement de la douleur chronique.

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