Comptes rendus

Optimisation des résultats thérapeutiques de la prise en charge du risque cardiovasculaire
Besoins et appréhensions en contrepoids chez le patient dialysé : améliorer l’observance en simplifiant le traitement

Trouble déficit de l'attention-hyperactivité : Évaluation des risques d’utilisation inappropriée ou d’abus du traitement

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

Point de vue sur l’article suivant : Williams et al. American Journal on Addictions 2004;13:381-9

juillet 2007

Revu par :

Samuel Y. Chang, MD, FRCPC

Directeur médical, Programme des toxicomanies de l’adolescence Foothills Medical Centre, Calgary, Alberta

Professeur agrégé de clinique, Faculté de médecine, Département de psychiatrie, University of Calgary, Calgary, Alberta

Le trouble Déficit de l’attention-hyperactivité (TDAH) est un trouble neurocomportemental héréditaire qui affecte surtout les enfants, mais qui persiste souvent à l’âge adulte. Ses principales caractéristiques cliniques – inattention, impulsivité et hyperactivité – varient en intensité, mais perturbent généralement le fonctionnement au quotidien. Ce trouble semble découler d’anomalies de la neurotransmission touchant principalement la dopamine et la noradrénaline. Les régions du cerveau affectées seraient le tronc cérébral, le corps strié, le cervelet et les régions du cortex frontal (Greydanus et al. Dis Mon 2007;53:70-131; Wilens T. J Clin Psychiatry 2006;67[suppl 8]:32-7).

Au Canada, la prévalence du TDAH se situe entre 4,8 % et 10 %, et sa fréquence est plus élevée chez les garçons que chez les filles (Szatmari et al. J Child Psychol Psychiatry 1989;30[2]:205-17; Waddell et al. Can J Psychiatry 2005;50:226-33; Poulin C. Addiction 2007;102[5]:740-51). En termes absolus, il est probable que le nombre de cas augmente parallèlement à la croissance démographique.

STRATÉGIES DE TRAITEMENT

Un vaste éventail de traitements et de thérapies est possible dans le TDAH. Au nombre des options non pharmacologiques figurent la psychothérapie ou la thérapie cognitivo-comportementale, les groupes d’entraide ainsi que les stratégies spécialisées axées sur l’éducation et les aptitudes sociales. Au nombre des options pharmacologiques figurent notamment les psychostimulants – méthylphénidate, dextroamphétamine et sels mixtes d’amphétamines (SMA) (dextroamphétamine/lévoamphétamine) – et un non-stimulant, l’atomoxétine. D’autres agents peuvent être utilisés, dont les antidépresseurs tricycliques, les agonistes des récepteurs alpha-adrénergiques, le modafinil et les dérivés de l’acide nicotinique (Wilens, 2006).

Le rôle du traitement pharmacologique a été confirmé par l’étude MTA (Collaborative Multi-Site Multimodal Treatment Study of Children with Attention-Deficit/Hyperactivity Disorder Combined Type) ( 1999;56[12]:1073-86). Cette étude marquante de 14 mois – qui visait à comparer quatre groupes de traitement réunissant au total 579 enfants de 7 à 10 ans – a surtout montré que les meilleurs résultats étaient obtenus chez les enfants qui recevaient un traitement médicamenteux intensif (administration trois fois par jour de doses croissantes jusqu’à la normalisation des symptômes ou l’apparition d’effets indésirables, et suivi rigoureux), les résultats étant mesurés à l’aide d’échelles d’évaluation de l’hyperactivité, de l’impulsivité, de l’inattention et de l’agressivité. Les soins communautaires usuels (en général, prescription du méthylphénidate deux fois par jour, avec suivi sporadique par un non-spécialiste) ont été associés aux pires résultats. L’ajout d’un soutien psychosocial – dont un apprentissage intensif des aptiudes sociales – a amélioré le taux de réussite d’environ 10 % dans le groupe de traitement intensif. La thérapie psychosociale en soi n’a pas été plus efficace que les soins communautaires usuels pour atténuer l’hyperactivité et l’impulsivité. De plus, le traitement médicamenteux a été moins coûteux que les interventions psychosociales.

Malgré ces données fort révélatrices, seulement une petite proportion d’enfants atteints du TDAH reçoit un traitement médicamenteux. Selon une enquête récente qui ciblait 12 990 enfants dans les provinces de l’Atlantique, 9,2 % des répondants chez qui un test de dépistage dénotait la présence du TDAH ont déclaré utiliser du méthylphénidate ou des amphétamines (Poulin, 2007). Aux États-Unis, la prévalence du traitement médicamenteux chez les patients ayant reçu un diagnostic de TDAH se chiffre à 12,5 % (Janssen et al. J Am Acad Child Adolesc Psychiatry 1999;38:797-804). L’observance continue du traitement du TDAH pose des problèmes, le taux d’abandon à un an pouvant atteindre 80 % à 90 %.

RISQUES ÉVENTUELS D’UTILISATION INAPPROPRIÉE OU d’ABUS

La surprescription de médicaments pour le TDAH fait couler de l’encre périodiquement, tant dans la presse destinée au grand public que dans la presse professionnelle. On y parle aussi du risque d’utilisation inappropriée ou d’abus des stimulants, soit par les patients eux-mêmes, soit par d’autres personnes les ayant achetés illégalement. Par «utilisation inappropriée», on entend, par exemple, une surconsommation du médicament par le patient, les essais occasionnels, ou l’utilisation de stimulants pour supprimer l’appétit ou la fatigue ou encore, pour augmenter la capacité de travail ou d’étude. L’abus s’en distingue par l’objectif visé, qui est l’intoxication. Les abus peuvent se traduire par la consommation de fortes doses par voie orale, mais le plus souvent, les comprimés sont transformés en poudre qui se prend par voie intranasale ou est dissoute pour être injectée. Certains craignent aussi que les jeunes prenant des stimulants, que ceux-ci soient prescrits ou non, puissent être prédisposés ultérieurement à consommer des drogues de la rue (McCabe et al. J Am Coll Health 2006;54[5]:269-78; Wilens T. Pediatrics 2003;111[1]:179-85).

Plusieurs articles récents ont fait état d’une utilisation non médicale croissante de stimulants dans les établissements d’études secondaires ou post-secondaires, et certains auteurs notent que cette augmentation est survenue parallèlement à la prescription accrue de stimulants dans le traitement du TDAH (Poulin C. CMAJ 2001;165[8]:1039-44; McCabe et al. J Psychoactive Drugs 2006;38[1]:43-56; McCabe et al. Subst Use Misuse 2004;39[70]:1095-116). Un auteur canadien a affirmé que plus de 20 % des élèves du secondaire à qui l’on avait prescrit des stimulants avaient de leur propre gré donné ou vendu une partie de leurs provisions de médicaments et qu’une autre tranche de 7 % s’était fait voler ou enlever ses médicaments. Les probabilités d’utilisation inappropriée du méthylphénidate étaient 50 % plus élevées chez les élèves d’un groupe où au moins un élève avait vendu un stimulant que chez ceux d’un groupe où cette activité n’avait pas eu lieu (Poulin 2001, 2007).

Bien que ces données n’aient rien de rassurant, il serait faux de conclure à l’existence d’une épidémie d’utilisation excessive ou inappropriée ou d’abus des médicaments pour le TDAH. En fait, on pourrait même affirmer que la réticence de certains face au traitement pharmacologique du TDAH par crainte d’une utilisation inappropriée ou d’un abus des médicaments favorise l’apparition d’un trouble lié à l’utilisation de substances psychotropes. En outre, l’utilisation accrue de médicaments pour le TDAH chez les patients qui peuvent en bénéficier pourrait se traduire par une diminution de l’utilisation inappropriée de stimulants et de l’incidence des troubles liés à l’utilisation d’une substance psychotrope.

Le TDAH non traité est un important facteur de risque de l’abus d’alcool ou d’autres drogues, tandis qu’un traitement approprié en réduit le risque. Selon une méta-analyse qui englobait six études d’une durée d’au moins quatre ans (Wilens et al., 2003), un adolescent de 15 ans atteint du TDAH qui est traité, par comparaison à un adolescent qui n’est pas traité, est 5,8 fois moins susceptible d’être aux prises avec un trouble lié à l’abus d’une substance psychotrope (Figure 1); la moitié des adolescents qui abusaient d’une substance psychotrope étaient atteints du TDAH. Des études dont les sujets ont été suivis jusqu’à l’âge adulte ont montré que les patients qui recevaient un stimulant étaient exposés à un risque d’abus de substance 40 % plus faible que ceux qui n’en recevaient pas.

Figure 1. Risque d’abus d’une substance psychotrope


Selon l’enquête canadienne susmentionnée (Poulin, 2007), la prévalence de l’utilisation du méthylphénidate et d’amphétamines à des fins non médicales était respectivement de 6,6 % et de 8,7 %. Un test de dépistage positif du TDAH était annonciateur à la fois d’une utilisation médicale et d’une utilisation non médicale. Autrement dit, l’utilisation non médicale de ces médicaments se résumait principalement à l’automédication par les patients atteints du TDAH et non à un abus à des fins d’intoxication. En 2004, Williams et ses collaborateurs – dont l’auteur de ces lignes – ont rapporté les résultats d’une étude lors de laquelle, parmi 450 patients de 12 à 18 ans qui participaient à notre programme sur l’abus d’alcool et d’autres drogues, 23 % avaient pris du méthylphénidate ou de la dextroamphétamine de façon inappropriée au moins une fois (Williams et al. Am J Addict 2004;13:381-9), mais seulement 6 % en abusaient (Figure 2). Dans 77 % des cas, les agents avaient été achetés illégalement à des patients qui les prenaient à des fins médicales. Une analyse subséquente plus approfondie (non publiée) de ces données a confirmé les résultats de Wilens et al., à savoir que le TDAH non traité augmente la probabilité d’abus d’alcool ou d’autres drogues. Dans la population de l’étude de Williams et al., l’utilisation inappropriée ou l’abus du méthylphénidate ou de la dextroamphétamine ne sont pas survenus en isolation; ils s’inscrivaient au contraire dans un contexte d’abus de multiples substances psychotropes, souvent prises en association pour que leurs effets psychoactifs soient amplifiés. Il importe ici de souligner que l’utilisation inappropriée ou l’abus de médicaments pour le TDAH mettaient en cause leurs formes galéniques à courte durée d’action. Pour un toxicomane, l’objectif est d’acheminer une dose suffisante de médicament dans la circulation sanguine et au cerveau le plus rapidement possible. C’est donc la vitesse à laquelle la concentration d’un stimulant augmente dans le cerveau qui détermine l’effet euphorisant (Volkow ND, Swanson JM. Am J Psychiatry 2003;160:1909-18). Le méthylphénidate et la dextroamphétamine à libération immédiate sont plus susceptibles d’être recherchés par les toxicomanes, car ils permettent l’atteinte d’une «euphorie» relativement plus rapidement et facilement que les mêmes molécules en préparation à libération prolongée.

Figure 2. Utilisation et abus de substances
chez 450 adolescents

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ÉVITER L'UTILISATION INAPPROPRIÉE ET L'ABUS DE MÉDICAMENTS POUR LE TDAH

Les suggestions et recommandations suivantes pourraient aider les médecins dans leurs décisions quant à la nécessité et à la prescription d’un médicament pour traiter le TDAH.

Les médecins doivent demeurer à l’affût des symptômes du TDAH chez les jeunes enfants, car une intervention précoce peut contribuer à éviter un grand nombre de complications et de facteurs de comorbidité qui pourraient survenir au début de l’adolescence. Selon un rapport de 2004, les patients qui amorcent un traitement avant l’âge de 8 ans plutôt qu’après l’âge de 10 ans sont plus susceptibles de poursuivre leur traitement (Miller et al. Can J Psychiatry 2004;49[11]:761-8). Le sous-diagnostic et/ou la réticence à accepter le TDAH comme étant un trouble qui se traite sont un mauvais service à rendre aux enfants qui en souffrent.

On doit évidemment s’assurer que le diagnostic de TDAH est à la fois juste et justifié. Au nombre des ressources appropriées, citons le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-IV-TR) et les lignes directrices émises par la Société canadienne de pédiatrie (www.cps.ca), CADDRA (Canadian ADHD Resource Alliance) (www.caddra.ca) et le Collège des médecins du Québec (www.cmq.org) qui contiennent de l’information sur l’évaluation, le diagnostic différentiel, les interventions et le suivi.

Selon l’éditorial récent d’un périodique de soins primaires (McLennan JD. Can Fam Phys 2006;52[8]:940-1), une réponse affirmative aux trois questions qui suivent pourrait aider le clinicien à déterminer la pertinence du traitement médicamenteux : 1. La capacité fonctionnelle de l’enfant est-elle perturbée? 2. Les symptômes du TDAH entraînent-ils des difficultés fonctionnelles? 3. L’essai d’un médicament est-il indiqué, si l’on en juge par le degré d’incapacité fonctionnelle?

Une fois le traitement médicamenteux amorcé, on doit en augmenter la dose progressivement afin d’en optimiser les effets, c’est-à-dire jusqu’à ce que le patient ait le moins de symptômes du TDAH possible. La vérification et la comparaison des scores sur les échelles d’évaluation des symptômes à intervalles réguliers – étape que l’on néglige trop souvent dans le contexte des soins primaires – peuvent être utiles à cet égard (McLennan, 2006). La famille doit bénéficier du soutien psychosocial approprié, comme les ressources en éducation et les cours d’aptitudes sociales, dont l’objectif est d’aider les parents à composer avec un enfant difficile. Les parents doivent aussi apprendre à surveiller et à gérer la distribution d’un médicament stimulant. Enfin, le suivi régulier est essentiel à l’observance du traitement et à la gestion du risque de vente illégale.

PATIENTS À RISQUE

Tout entretien avec un patient adolescent doit comporter des questions détaillées sur l’utilisation de substances psychotropes. Un patient qui admet avoir essayé plusieurs drogues est exposé à un risque plus élevé d’utilisation inappropriée ou d’abus de médicaments pour le TDAH qu’un patient ayant consommé uniquement de l’alcool et/ou du cannabis. Ces patients à risque élevé doivent subir une cure de désintoxication avant même que l’on envisage l’essai d’un médicament pour le TDAH. (Certains experts en toxicomanie insistent sur le fait que le patient doit être complètement «désintoxiqué» pendant une période déterminée, six mois par exemple, avant le début du traitement du TDAH. D’autres, dont l’auteur de ces lignes, estiment que de nombreux patients trouvent difficile de ne prendre aucune drogue s’ils ne reçoivent pas simultanément de médicament pour le TDAH.) Le TDAH étant un trouble héréditaire, on doit aussi explorer la possibilité d’un abus de substances psychotropes par les parents et, au besoin, traiter ces derniers avant de commencer à traiter le TDAH chez l’enfant. Environ la moitié des patients qui ont participé à notre programme ont un parent du premier degré qui abuse d’alcool ou d’autres drogues. Les patients souffrant à la fois du TDAH et d’un facteur de comorbidité comme un trouble de l’humeur ou des conduites sont aussi plus vulnérables.

Le choix du médicament pourrait par ailleurs reposer en partie sur le risque d’utilisation inappropriée ou d’abus par le patient ou son entourage. Un agent non stimulant peut être utilisé. Si un stimulant s’impose, par contre, le méthylphénidate et les SMA existent en préparations à libération prolongée. Ces préparations permettent de maîtriser les symptômes pendant une plus longue période, par exemple 12 heures dans le cas des SMA à libération prolongée, contre six à huit heures pour la dextroamphétamine (Lignes directrices canadiennes pour le TDAH, CADDRA 2006). En outre, ces préparations diminuent considérablement le risque et l’attrait d’un abus, même si plusieurs capsules ou comprimés sont pris simultanément. Étant administrées par voie orale, ces préparations à libération prolongée se caractérisent par des paramètres pharmacocinétiques plus stables (absorption et augmentation de la concentration plus lentes, sans variabilité de l’effet imputable aux pics et aux creux plasmatiques) et n’induisent donc pas l’euphorie recherchée par les toxicomanes. En raison de leur composition complexe, ces préparations à libération prolongée sont difficiles à écraser ou à dissoudre pour administration par voie intranasale ou intraveineuse et pourraient donc constituer un meilleur choix lorsqu’il y a un risque d’abus, d’utilisation inappropriée ou de vente illégale.

RÉSUMÉ

Comme c’est le cas pour d’autres troubles chroniques, la réussite du traitement du TDAH repose sur un diagnostic précoce, un traitement optimal et la poursuite des traitements qui se sont révélés utiles chez un patient donné. Comme le TDAH non traité est un important facteur de risque de l’abus d’alcool et d’autres drogues, un traitement efficace administré tôt peut contribuer à réduire au minimum l’utilisation inappropriée et l’abus de médicaments, d’alcool et d’autres drogues. Les données actuelles confirment qu’il y a effectivement des cas d’utilisation inappropriée et d’abus des médicaments pour le TDAH, mais que ces problèmes sont beaucoup moins probables que l’abus d’autres substances comme l’alcool ou le cannabis. Pour atténuer le risque d’utilisation inappropriée ou d’abus, le médecin doit repérer les patients à risque, bien choisir le médicament qu’il prescrira et suivre ses patients de près. La sous-utilisation des médicaments pour le TDAH pourrait en fait être un problème plus aigu que l’utilisation inappropriée ou l’abus de ces agents.

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