Comptes rendus

Schémas HAART : rapport d’étape après 10 ans et défis de l’optimisation du traitement
Reprendre le contrôle d’une infection à VIH résistante : stratégies novatrices pour les patients déjà traités

Évolution incontestable de nos connaissances sur la suppression du VIH

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

La 13e Conférence sur les rétrovirus et les infections opportunistes

Denver, Colorado / 5-8 février 2006

Les résultats de dernière heure de deux essais présentés au congrès auront des retombées sur le traitement à long terme de l’infection à VIH. Lors de l’étude multinationale SMART (Strategies for Management of Anti-Retroviral Therapy), un traitement intermittent guidé par le nombre de cellules CD4+ (TI-CD4+) a semblé moins efficace qu’un traitement continu traditionnel (TCT) pour supprimer la virémie et n’a pas protégé les patients contre un grand nombre d’effets indésirables associés très étroitement aux schémas antirétroviraux hautement actifs (HAART). Certes, les résultats ont été décevants, mais ils soulèvent de nouvelles questions au sujet des risques perçus des schémas HAART. Dans l’autre étude multinationale, d’une durée de 96 semaines, l’analyse à 48 semaines a révélé qu’un inhibiteur de la protéase (IP), l’atazanavir, potentialisé ou non, offrait une innocuité et une efficacité similaires chez des patients n’ayant jamais été traités. S’il semble que les deux stratégies soient viables, la comparaison a prouvé l’innocuité de l’atazanavir potentialisé tout en confirmant l’efficacité de l’IP non potentialisé chez les patients n’ayant jamais été traités.

Plan de l’étude

Lors de l’étude SMART, 5472 patients provenant de 318 centres répartis dans 33 pays, dont le Canada, ont été randomisés dans le groupe TI-CD4+ ou le groupe TCT ayant pour objectif une suppression continue de la virémie. Tous les patients, sauf 5 % d’entre eux, avaient déjà été traités au moment de leur admission à l’étude. Au départ, le nombre médian de cellules CD4+ était de 596 cellules/mm³, et 71 % des patients avaient une charge virale <400 copies/mL. Le nombre de cellules CD4+ était >350 cellules/mm³ chez la totalité des patients. En moyenne, six ans s’étaient écoulés depuis la mise en route des schémas HAART.

Dans le groupe TI-CD4+, le schéma HAART était arrêté dès l’admission à l’étude et n’était repris que lorsque le nombre de cellules CD4+ chutait sous le seuil de 250 cellules/mm³. Les patients poursuivaient alors leur schéma HAART jusqu’à ce que le nombre de cellules CD4+ grimpe au-delà de 350 cellules/mm³, après quoi le traitement était de nouveau interrompu. L’objectif était de répéter ces cycles indéfiniment afin de réduire l’exposition aux médicaments tout en prévenant un déclin immunitaire au point où l’infection évoluerait vers le SIDA. L’autre groupe recevait un schéma HAART traditionnel en continu. Le paramètre principal de l’étude était la progression de l’infection à VIH ou la mort.

«Au début de janvier, le comité de surveillance de l’innocuité de l’étude SMART a confirmé l’augmentation significative du risque de progression de l’infection à VIH dans le groupe de traitement TI-CD4+, et le recrutement a été arrêté», explique la Dre Wafaa El-Sadr, Columbia University College of Physicians and Surgeons, New York, New York. Même si le protocole prévoyait un suivi d’une durée moyenne de huit ans, le suivi moyen ne totalisait que 14 mois à l’arrêt de l’étude, ajoute-t-elle.

Attendus avec impatience, les résultats de SMART en ont surpris plus d’un. Bien que toutes les études d’envergure visant à évaluer n’importe quel type d’interruption structurée aient échoué, l’idée de réduire les coûts et d’éviter les effets indésirables motive largement l’évaluation de nouvelles démarches. Non seulement a-t-on mis fin prématurément à l’étude SMART en raison du taux d’échec plus élevé dans le groupe TI-CD4+, mais des analyses subséquentes ont aussi révélé que les patients recevant une dose moindre avaient eu plus de complications, y compris des complications attribuées antérieurement aux antirétroviraux.

«Le taux d’infarctus du myocarde, d’AVC, de maladie coronarienne nécessitant une chirurgie ainsi que de complications rénales et hépatiques se chiffrait à 2,0 pour 100 années-personnes dans le groupe TI-CD4+ vs 1,2 dans le groupe TCT», rapporte la Dre El-Sadr.

Au moment où l’on a mis fin à l’étude, le paramètre principal – progression de l’infection à VIH ou mort – avait été établi à 3,7 pour 100 années-personnes dans le groupe TI-CD4+ vs 1,5 dans le groupe TCT (p<0,0001). Il en est résulté une augmentation de 2,15 du risque relatif d’atteinte du paramètre principal dans le groupe TI-CD4+ par rapport au groupe TCT. Lorsqu’on a comparé les manifestations graves du SIDA, le risque relatif était de 5,82 (IC à 95 %, 1,68 à 20,16) dans le groupe TI-CD4+ par rapport au groupe TCT. Le taux de mortalité était de 1,5 pour 100 années-patients dans le groupe de TI-CD4+ vs 0,9 dans le groupe TCT, d’où une augmentation de 1,62 du risque relatif (p=0,02) dans le groupe TI-CD4+.

Même si une étude pilote donnait à penser que le traitement intermittent offrirait une efficacité similaire tout en réduisant les coûts et le risque de complications, l’étude SMART a démontré une augmentation des complications dans le groupe TI-CD4+ pendant l’étude, y compris des complications rénales, hépatiques et cardiovasculaires. Lorsque ces effets indésirables étaient analysés séparément, les résultats favorisaient systématiquement le groupe TCT. Lorsqu’ils étaient évalués dans leur ensemble, le risque relatif de complications touchant l’un ou l’autre de ces systèmes était 1,63 (IC à 95 %, 1,02-2,58; p=0,04) fois plus élevé dans le groupe TI-CD4+.

De l’avis de la Dre El-Sadr, qui a présenté les données montrant l’avantage du traitement continu dans chaque sous-groupe évalué, y compris les sous-groupes définis en fonction de la charge virale, du nombre initial de cellules CD4+, du nadir de la numération CD4+, de l’âge et du sexe, «les schémas HAART intermittents administrés selon le protocole de l’étude SMART sont inférieurs aux schémas HAART continus. Cette stratégie doit être déconseillée.»

IP potentialisé ou non chez les patients jamais traités?

Lors de l’autre étude multinationale, présentée immédiatement après l’étude SMART, 200 patients n’ayant jamais été traités ont commencé à recevoir un schéma HAART à base d’atazanavir potentialisé ou non potentialisé selon un ratio de randomisation de 1:1. Tous les patients recevaient la lamivudine et la stavudine à libération prolongée. S’il était non potentialisé, l’atazanavir était administré à 400 mg une fois par jour, alors que s’il était potentialisé, il était administré à 300 mg une fois par jour et combiné avec 100 mg de ritonavir. Au départ, la charge virale médiane se chiffrait à 5,0 log10 copies d’ARN/mL, tandis que le nombre médian de cellules CD4+ était de 200 cellules/mm3. L’âge moyen des participants était de 35 ans. L’effectif était composé à environ 30 % de femmes et à environ 50 % de sujets de race blanche. Le paramètre principal de l’étude était la proportion de patients atteignant une suppression soutenue de la virémie <400 copies/mL.

Selon une analyse en intention de traiter, 86 % des patients recevant l’IP potentialisé et 85 % des patients recevant l’IP non potentialisé avaient une virémie <400 copies/mL à 48 semaines. Les pourcentages étaient similaires pour le paramètre secondaire, soit une virémie <50 copies/mL (75 % et 70 %, respectivement). Selon les analyses des patients sous traitement, 93 % des sujets des deux groupes avaient une virémie <400 copies/mL à 48 semaines. Toujours selon ces analyses, la proportion de patients ayant une virémie <50 copies/mL était plus élevée dans le groupe IP potentialisé (87 % vs 76 %), mais la différence n’était pas significative. La différence entre les taux d’échec de 3 % et 10 % des groupes IP potentialisé et IP non potentialisé, respectivement, n’était pas significative non plus. L’augmentation médiane du nombre de cellules CD4+ au fil des 48 semaines se chiffrait à 189 cellules/mm³ dans le groupe IP potentialisé vs 224 cellules/mm³ dans le groupe IP non potentialisé, et la différence n’était pas significative.

Les deux schémas ont été bien tolérés. Si les abandons motivés par les effets indésirables étaient plus nombreux dans le groupe IP potentialisé (8 % vs 1 %), la différence tenait en grande partie aux abandons exigés par le protocole en cas d’hyperbilirubinémie, mais aucun cas n’a entraîné de complications cliniquement significatives. De même, le nombre plus élevé d’effets indésirables de classe 2 à 4 (43 % vs 34 %) dans le groupe IP potentialisé était dû en grande partie aux cas d’hyperbilirubinémie (13 % vs 5 %) et d’ictère (3 % vs <1 %). Aucun autre effet indésirable ne différait de façon marquée entre les deux groupes. L’augmentation moyenne du taux de cholestérol total était de 15 % dans le groupe IP potentialisé vs 6 % dans le groupe IP non potentialisé (p<0,01), mais <5 % des sujets de chaque groupe recevaient un hypolipidémiant.

Selon le Dr Niel Malan, Triple M Research, Port Elizabeth, Afrique du Sud, «la plupart des études cliniques réalisées à ce jour chez des patients jamais traités portaient sur l’atazanavir non potentialisé. L’atazanavir potentialisé a été évalué principalement chez des patients déjà traités. Ces résultats montrent que les deux stratégies sont comparables chez les patients jamais traités au préalable.» Bien que l’IP non potentialisé ait un excellent profil d’innocuité et d’efficacité chez les patients jamais traités, les données actuelles «étayent l’utilisation de l’atazanavir potentialisé chez ces patients», tant pour son efficacité que pour son innocuité, conclut-il.

Résultats de l’étude pilote

Une troisième étude de dernière heure – présentée après les deux premières – a semblé mettre un lien intrigant au jour. Cette étude pilote regroupant 36 patients visait à déterminer si un IP puissant potentialisé pouvait être utilisé en monothérapie pour simplifier le traitement chez des patients ayant atteint et maintenu l’avirémie sous l’effet d’un schéma HAART complet. Pareille stratégie a le mérite de réduire les coûts et l’exposition au médicament, comme l’étude SMART.

De l’avis de l’auteure principale, la Dre Susan Swindells, professeure agrégée de médecine interne (maladies infectieuses), University of Nebraska Medical Center, Omaha, les résultats sont favorables. Sous l’effet de l’atazanavir potentialisé, la virémie est demeurée supprimée pendant les 24 semaines de l’analyse chez tous les patients, sauf trois.

«Chez deux des trois patients en échec, les échantillons de sang prélevés au moment de l’échec n’ont pas révélé de taux décelable du médicament, précise-t-elle, et aucun des échecs n’a été associé à des mutations typiques des IP», ce qui donne à penser que les participants ne prenaient pas l’agent à l’étude avec assiduité ou le métabolisaient rapidement. Globalement, les résultats ont été qualifiés de prometteurs, mais des essais de plus grande envergure seront nécessaires pour mieux évaluer le potentiel de cette stratégie.

Résumé

Les résultats de dernière heure de diverses études dont l’objectif était d’évaluer des stratégies pour le contrôle à long terme de l’infection à VIH ont donné des résultats hétérogènes. Si les interruptions guidées par le nombre de cellules CD4+ ont été inefficaces, une étude a démontré l’équivalence d’un IP potentialisé et d’un IP non potentialisé dans le cadre d’un schéma HAART chez des patients jamais traités. Une étude pilote – de petite taille mais prometteuse – semble indiquer que la simplification du traitement pourrait être une option une fois la virémie supprimée, mais la théorie devra être confirmée par des essais plus vastes.

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